Les fruits, légumes et céréales bio ont des concentrations en antioxydants plus élevées que ceux produits par l’agriculture conventionnelle : c’est en tout cas ce que suggère une méta-analyse publiée le 15 juillet dernier dans la revue British Journal of Nutrition, et coordonnée par Carlo Leifert, professeur en écologie à l’Université de Newcastle (Grande-Bretagne). « C’est prouvé, le bio a tout bon », s’enflamme la journaliste Amandine Martinet sur le site de France TV, tandis que sa collègue Laetitia Van Eeckhout, du Monde, n’hésite pas à affirmer que « de nombreuses études épidémiologiques ont clairement démontré le bénéfice pour la santé des antioxydants, notamment pour la protection contre des maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, neurodégénératives et certains cancers [2] ».
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Émoi dans les médias, succession d’articles au sujet de cette nouvelle publication, buzz sur internet… mais dans tous les cas, aucun regard critique. Il est vrai qu’en France, le bio est aussi sacré que l’est une vache en Inde ! Certes, une telle étude était désespérément attendue. Surtout après la publication des travaux du Dr Alan Dangour, qui avait démontré sans équivoque en 2009 l’absence de différences substantielles entre aliments bio et aliments issus de l’agriculture conventionnelle. Il en concluait que le bio n’apporte aucun bénéfice nutritionnel. À l’époque, le chercheur britannique avait subi une véritable campagne de harcèlement. Pendant ce temps, le lobby du bio préparait sa riposte. Elle est finalement arrivée cinq ans plus tard, notamment grâce au sponsoring du Sheepdrove Trust, une organisation britannique qui finance des campagnes contre les OGM et les pesticides, et fait la promotion de la Slow Food.
Une affaire de famille… bio !
L’histoire de l’étude du Dr Leifert commence en réalité en septembre 2000. Lors d’une réception à l’Hôtel Savoy, le Prince Charles, propriétaire de Duchy Originals, une entreprise d’aliments issus de l’agriculture biologique, et la direction de Tesco, le géant britannique de la distribution, décident de collaborer. L’objectif du partenariat très singulier de Son Altesse Royale et de la multinationale de l’agro-alimentaire est clairement annoncé : faire de Tesco, deuxième groupe de distribution dans le monde, le plus grand fournisseur de produits bio en Grande-Bretagne. Comme l’explique Tim Mason, son directeur de marketing, Tesco vise le milliard de livres sterling pour son business bio à l’horizon 2003. L’une des toutes premières actions de cette nouvelle alliance consiste à accorder une subvention de £400.000 à l’Université de Newcastle pour la création du Tesco Centre for Organic Agriculture. Sa mission –démontrer la supériorité des aliments issus de l’agriculture biologique par rapport à ceux produits par l’agriculture conventionnelle– est confiée à… Carlo Leifert, qui occupe alors le poste de consultant pour Tesco. Un poste qu’il conservera jusqu’en 2009, notamment comme membre de son panel d’experts Qualité et sûreté alimentaires, et membre du conseil consultatif de Nurture (cahier des charges des supermarchés Tesco ).
Cela fait donc presque quatorze ans que Carlo Leifert –par ailleurs membre du conseil scientifique de l’association The Organic Center– œuvre pour le lobby du bio. Officiellement, Tesco lui a versé plus de 780000 euros.
Bien entendu, le Dr Leifert n’est pas le seul signataire de l’étude à entretenir des liens très étroits avec le bio-business. C’est le cas de Charles Benbrook, connu pour son militantisme pro-bio et anti-OGM (et lui aussi membre du conseil scientifique de l’association The Organic Center), ou d’Urs Niggli, le directeur de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (Suisse). La relecture définitive a en outre été confiée à Lord Peter Melchett, directeur des politiques de la Soil Association, dont le parrain n’est autre que… le Prince Charles. La boucle est bouclée !
Molécules de défense
Or, les résultats de la méta-analyse britannique –s’ils étaient vraiment confirmés, ce qui reste encore à démontrer au regard du protocole utilisé – sont plutôt inquiétants. En tout cas, ils ne vont certainement pas « dans le bon sens », contrairement à ce qu’affirme Philippe Nicot, un microbiologiste de l’Inra qui a participé au projet. Se réjouissant de la présence importante des antioxydants dans les produits bio, ce dernier explique que « les raisons de cette différence ne sont pas encore précisément connues, mais l’une des hypothèses serait que les cultures bio, plus soumises à des attaques parasitaires, sont davantage portées à se défendre. Or, pour s’adapter à un stress, en réaction à un environnement, les plantes produisent des molécules de défense dont certaines sont des antioxydants. »
En clair, les plantes agressées développeraient une forme de résistance – ces fameuses « molécules de défense »– qui lui confèrerait des qualités nutritionnelles dont pourraient ensuite bénéficier ceux qui les mangent. Un peu comme dans les anciens rituels cannibales iroquois, où le guerrier s’approprie de la sorte les qualités de sa victime (force, intelligence, etc.).
Sauf que le chercheur de l’Inra semble ignorer que ces principales « molécules de défense » produites par les plantes sont, au sens strict du terme, des pesticides, dont la toxicité est prouvée. Leur présence dans les produits bio aurait mérité d’être mesurée. Ce que les auteurs de la méta-analyse ont tout simplement oublié. Persuadés que ces antioxydants sont bénéfiques pour l’homme, ils se sont contentés d’en relever la présence.
Antioxydants et cancers
Grave erreur ! « Les chercheurs ont longtemps pensé que les substances antioxydantes pouvaient aider à prévenir des tumeurs cancéreuses, mais plusieurs études cliniques récentes suggèrent qu’elles n’ont aucun effet pour empêcher notamment le cancer du poumon. Pire, elles peuvent même en accroître le risque chez certains groupes vulnérables comme les fumeurs », explique le journaliste Gabriel Vedrenne, suite à la publication d’une étude du Pr Martin Bergö, co-directeur du Centre du Cancer à l’Institut de Médecine de Göte (Suède). Publiés en janvier 2014, ces travaux ont montré que les compléments de vitamines antioxydantes accélèrent le développement de lésions précancéreuses ou de cancers précoces du poumon chez des souris et des cellules humaines en laboratoire. « Nous avons constaté que ces antioxydants –des compléments de vitamine E – ont triplé le nombre de tumeurs et aussi fortement accéléré leur agressivité », a expliqué le professeur Berg, qui relève également un effet-dose (plus les doses sont élevées, plus les effets sont grands).
- C’est prouvé, le bio a tout bon !, Allodocteurs. fr, Amandine Martinet, 30 juillet 2014. !
- Fürst M.A. et al. (2014), Disease associations between honeybees and bumblebees as a threat to wild pollinators. Nature. 506, 364–366.
- Le monde du bio exaspéré par une étude britannique , A&E, septembre 2009.
- Genersch E. et al. (2006), Detection of Deformed wing virus, a honey bee viral pathogen, in bumble bees (Bombus terrestris and Bombus pas-cuorum) with wing deformities. Journal of Invertebrate Pathology 91 : 61–63.
- Genersch E., Aubert M. (2010), Emerging and re-emerging viruses of the honey bee (Apis mellifera). Vet. Res. 41 : 1-20.
- Graystock P. et al. (2013), Emerging dan- gers : deadly effects of an emergent parasite in a new pollinator host. Journal of Invertebrate Patho- logy, 114, 2:114–119.
- Antioxydants Accelerate Lung Cancer Pro- gression in Mice, http://stm.sciencemag.org/ content/6/221/221ra15