Une chose est sûre : lors de l’audience du Tribunal de Grande Instance de Paris du 25 septembre dernier, Gilles-Éric Séralini n’a pas convaincu la procureure de la République ! Membre du très « sélect » club des auteurs d’études qui ont été dépubliées par une grande revue scientifique, le chercheur de Caen avait en effet saisi la justice française afin d’obtenir « réparation », suite à un article publié le 29 septembre 2012 dans Marianne. Gilles-Éric Séralini reproche à l’hebdomadaire parisien –et à l’un de ses journalistes, Jean-Claude Jaillette– d’avoir qualifié ses travaux sur le maïs transgénique NK603, publiés quelques jours auparavant, d’« opération de communication » et de « fraude scientifique où la méthodologie sert à conforter des résultats écrits d’avance ». Des accusations très graves, et qui seraient diffamatoires si elles ne s’avéraient pas fondées.
Or, à la grande surprise du chercheur et de son avocat, maître Bernard Dartevelle, la procureure de la République a requis la relaxe, tant pour l’hebdomadaire que pour son journaliste. « Mme la procureure a estimé que Marianne avait tous les éléments à disposition et donc toute légitimité– pour écrire qu’il s’agissait d’une fraude scientifique et d’une opération de médiatisation orchestrée », a confirmé maître Lauranne Favre, l’avocate de Marianne. Sur la forme, la procureure a tout d’abord évoqué le fait que Jean-Claude Jaillette n’était pas l’auteur des propos incriminés, l’hebdomadaire n’ayant que « rapporté des termes utilisés par des scientifiques américains et publiés dans le magazine Forbes ». Et sur le fond, elle a retenu l’excuse de bonne foi : prudence dans l’expression des propos ; absence d’animosité envers la personne de Séralini ; intérêt légitime de couvrir une affaire concernant la santé humaine ; et enfin, existence d’une base factuelle de données suffisamment documentée pour s’interroger sur la bonne conduite de l’étude. Dit plus directement, le protocole de l’étude aurait bien pu être élaboré de façon à obtenir des résultats attendus tant par l’équipe anti-OGM de Séralini que par le Criigen et autres pourvoyeurs de fonds de son projet, notamment Auchan (à travers l’association CERES) et la Fondation pour le progrès de l’homme. Sur l’ensemble de ces points, la procureure a donc suivi les conclusions de maître Favre, qui a profité de l’audience pour rappeler l’étendue des critiques scientifiques dont ont fait l’objet les travaux de Séralini.
Trois heures de questions-réponses
Pourtant, le chercheur de Caen ne peut pas prétendre ne pas avoir eu droit à la parole ! Pendant plus de trois heures, ses amis et lui ont pu répondre aux multiples questions de la juge, tenant ici et là des propos qui se sont égarés loin du sujet du procès. Bien plus à l’aise devant un panel de juristes que de spécialistes en sciences végétales, Gilles-Éric Séralini a ainsi livré sa vision d’un monde tenu par une poignée de lobbyistes à la solde de l’agrochimie. Comment expliquer le retrait de son étude de la revue Food and Chemical Toxicology ? C’est la conséquence de l’arrivée d’un « lobbyiste » de Monsanto au comité éditorial de la revue (et non pas de la mise en cause de la qualité de son étude, republiée ensuite dans une revue cette fois-ci sans comité de lecture). Pourquoi une telle mise en scène lors de la publication de l’étude ? Parce qu’il s’agit d’un problème de santé publique, des millions de gens mangeant des produits à base de maïs transgénique NK603 (et continuant d’ailleurs puisque, curieusement, le principal commanditaire de cette étude, Auchan, n’a jamais retiré de ses magasins les denrées alimentaires issues de cet OGM…). Pourquoi avoir accordé l’exclusivité de son étude à un seul hebdomadaire ? Pour éviter aux autres journalistes de faire l’objet de pressions de la part de Monsanto (comme si, en France, Monsanto avait le pouvoir de faire taire la presse…). Pourquoi avoir choisi des rats qui développent naturellement des tumeurs ? C’est la souche recommandée par l’OCDE et utilisée par l’industrie (mais jamais pour ce type d’expérimentation). Le traitement statistique des données n’a-t-il pas été jugé inapproprié par l’ensemble des agences sanitaires en charge de l’évaluation du risque ? Certes, mais il a été validé par Paul Deheuvels, membre de l’Académie des sciences (et par ailleurs présentateur du Libre Journal des sciences et des techniques sur… Radio Courtoisie !).
Bref, aucune question n’est restée sans réponses. Si celles-ci n’ont pas toujours été très convaincantes, elles ont laissé entrevoir cette insoutenable arrogance dont peuvent faire preuve ceux qui ne doutent plus de rien et que la foi rend aveugles. Et qui n’a pas échappé à la juge. « Votre conseil vous compare à Galilée » , a lancé cette dernière, un peu moqueuse. « Plutôt Socrate », a rétorqué de la salle l’une des admiratrices de Séralini, venue supporter son champion au tribunal.
Les amis du professeur
En effet, le professeur avait ce jour-là un bien étrange comité de soutien. On pouvait y reconnaître l’Anglais Paul Matthews, traducteur de l’intervention filmée d’Alain Soral et de Dieudonné à la journée « Je ne suis pas Charlie » du 27 juin 2015 au théâtre de la Main d’Or. Membre du comité de soutien du Criigen, Paul Matthews est par ailleurs l’auteur d’une tribune dans laquelle il prétend examiner le cas de Dieudonné « à la lumière de l’affaire Dreyfus ». On devine la suite…
Moins étonnant, le chef-cuisinier du Mas de Rivet, Jérôme Douzelet, avait lui aussi fait le déplacement. Cet autodidacte de la cuisine est en effet devenu l’un des proches amis de Gilles-Éric Séralini. Il est vrai que son hôtel-restaurant héberge cinq fois par an les séminaires sur les OGM, les pesticides et la « médecine environnementale et de détoxification », organisés par le Criigen. En mai 2011, Jérôme Douzelet a même intégré le conseil d’administration du Comité d’experts sur le génie génétique. Depuis 2015, le Mas de Rivet est également le siège de l’association Spark-Vie, qui est notamment chargée de l’organisation de ces séminaires, et est adossée à Spark, une petite agence de communication dont le gérant n’est autre qu’Alexandre Séralini, « fils de ».
Animées principalement par Gilles-Éric Séralini et le médecin homéopathe Joël Spiroux (par ailleurs président du Criigen), ces formations « professionnelles » coûtent 900 euros pour trois jours. Une facture qui peut « être intégrée sur des crédits formation dans le cadre du Droit individuel à la formation pour un total de 22 heures », précise le Criigen. Chaque année, une petite visite « commentée » des jardins de Sevene Pharma fait également partie du programme. Histoire de découvrir la gamme de granules homéopathiques aux vertus « détoxifiantes » de la petite société cévenole, analysées et validées par… l’équipe de Caen de Séralini.
Enfin, Jérôme Douzelet est également co-auteur avec Gilles-Éric Séralini d’un pamphlet intitulé Plaisirs cuisinés ou poisons cachés, publié chez Actes Sud. Un ouvrage qui a reçu le sponsoring de Biocoop, la plus grande coopérative de produits bio, et de la Fondation Ekibio, qui « fabrique, transforme et distribue des produits bio depuis vingt-six ans ». Bien entendu, aucun conflit d’intérêts n’est à relever dans ces activités croisées… Juste un peu d’aide entre partisans d’une même cause !