Le 13 avril dernier, Michael Friko, directeur de l’agence américaine de régulation des biotechnologies (qui dépend du ministère américain de l’Agriculture), a adressé un courrier clarifiant pour la première fois la position de l’administration américaine sur l’un des principaux nouveaux outils de correction du génome : le système CRISPR-Cas9.
Développée dans les années 2010, d’un côté par la chercheuse française Emmanuelle Charpentier et sa collègue américaine Jennifer Doudna, de l’autre par l’Américain Feng Zhang, du Broad Institute of Harvard & MIT, cette technique a déjà bouleversé la donne dans le domaine du génie génétique.
Un outil en plein essor
Comme l’indique une note du réseau de veille technologique de l’ambassade française aux États-Unis, « en plein essor depuis 2012, la technique d’ingénierie génétique CRISPR révolutionne actuellement le monde biomédical par sa capacité à cibler et couper avec précision n’importe quelle séquence génétique. Si d’autres technologies permettent aussi d’éditer le génome, CRISPR s’impose peu à peu comme la technique-phare en raison de sa facilité d’utilisation, de son coût réduit et de son développement plus accessible que les techniques antérieures. »
À l’inverse des techniques d’édition du génome connues jusqu’à présent (comme celle baptisée « doigt de zinc », ou encore TALENs, pour Transcription activator-like effector nucleases), les systèmes CRISPR sont accessibles même aux particuliers, avec une mise en place d’une simplicité déconcertante, et pour un coût inférieur à 160 dollars. D’où l’énorme intérêt qu’ils suscitent tant dans le monde de la recherche que pour tout ce qui relève des usages à vocation médicale ou agronomique. En moins de cinq ans, les publications scientifiques sur CRISPR-Cas9 ont explosé, passant de 20 à plus de 1 200, et attirant ainsi de très nombreux investisseurs.
« Les enjeux financiers et économiques liés à une telle révolution sont très importants. Au total, on estime à plus d’un milliard de dollars les investissements en capital réalisés en un an. Dernier avatar significatif en date : le 21 décembre dernier, Bayer a annoncé la création d’un joint-venture avec CRISPR Therapeutics (société fondée entre autres par Emmanuelle Charpentier), dans lequel la société allemande injecte 300 millions de dollars (plus une participation de 35 millions de dollars dans la start-up). Et Editas Medicine, dans lequel ont investi entre autres Bill Gates et Google Ventures, vient de lancer son introduction en bourse à hauteur initiale de 100 millions de dollars le 4 janvier dernier », poursuit la note des services de l’ambassade française. Elle aurait pu également mentionner « l’alliance stratégique » formée par le géant américain DuPont et la start-up de Jennifer Doudna, Caribou Biosciences.
Un champignon qui ne brunit pas
Le cas du champignon de Yinong Yang, phytopathologiste à l’Université de Pennsylvanie, est un exemple des belles performances que permet cette technologie de précision. Le chercheur américain a en effet réussi à extraire du génome d’Agaricus bisporus les six gènes qui commandent la production d’une enzyme de type polyphénol-oxydase (PPO), responsable de la couleur brune qui se propage à la surface d’un fruit ou d’un légume lorsque celui-ci est mis en contact avec l’air. Stopper cette réaction permet donc d’augmenter la durée de vie du champignon, et de repousser sa date-limite de consommation.
Une opération similaire avait déjà été effectuée sur une variété de pomme, modifiée pour ne pas brunir une fois épluchée. Baptisée Artic, elle a été produite par l’entreprise Okanagan, qui a utilisé la cisgénèse (c’est-à-dire l’introduction d’un gène provenant d’une variété étroitement apparentée) afin de ne pas faire exprimer une enzyme. De son côté, le géant de la frite américain Simplot a obtenu une patate qui ne brunit pas en utilisant la technique d’interférence par ARN, qui permet d’abaisser les niveaux d’expression de certains gènes. Dans le cas précis de cette variété, baptisée Innate, ce sont également les gènes impliqués dans le brunissement de la patate qui ont été rendus silencieux.
Mais l’innovation de Yinong Yang consiste à ne pas avoir eu besoin d’ajouter une quelconque construction extérieure au génome de la plante (virus, bactérie, antibiotique, ADN, ARN, etc.) pour réussir sa modification. Comme le chercheur le précise dans son courrier adressé aux autorités américaines en octobre dernier, c’est la suppression de six gènes de son champignon de Paris qui induit la réduction de 30% de l’activité enzymatique des PPO. L’outil CRISPR-Cas9 est l’instrument idéal pour une telle opération, puisqu’il reprend à l’identique un processus naturel des plantes face à une attaque virale. La spécificité du système CRISPR-Cas9 repose sur la complémentarité entre un ARN-guide qui cible une séquence d’ADN spécifique, et la nucléase Cas9, assurant ensuite une coupure de l’ADN à cet endroit précis. Un peu comme la touche « sélectionner- supprimer » d’un ordinateur…
Fidèle à ses conceptions
Et c’est bien l’absence de matériel génétique introduit qui a conduit les autorités américaines à ne pas classer cette nouvelle variété de champignon parmi les variétés relevant de la législation sur les plantes génétiquement modifiées.
Comme le note la revue Sciences et Avenir, « ce faisant, l’USDA reste fidèle à ses conceptions. Une trentaine de plantes modifiées par les nouvelles techniques d’obtention des plantes (NPBT, selon l’acronyme anglais) ont en effet été acceptées aux États-Unis ces cinq dernières années. Ces nouvelles variétés ont été obtenues par des techniques de modification du génome, comme les TALENs, qui visent à introduire dans le génome d’une plante des caractères recherchés, comme la résistance à un pathogène ou à la sécheresse, qui sont présents dans d’autres variétés de la même espèce. Là encore, le fait qu’il n’y ait pas introduction d’un gène étranger implique qu’il ne s’agit pas d’OGM, selon l’USDA. CRISPR s’ajoute ainsi à plus d’une demi-douzaine de nouvelles techniques d’hybridation. »
En clair, les autorités américaines procèdent par analyse du produit final, et non par analyse des techniques utilisées. Comme le suggère la réponse de Michael Friko, une plante qui aurait obtenu du matériel génétique externe, même par l’outil CRISPR, rentrerait donc clairement dans le cadre de la législation OGM.
La position des semenciers français
« Cette position est conforme à ce que souhaitent les semenciers français. Elle est aussi en phase avec la position rendue publique par le Haut Conseil des Biotechnologies, qui rappelle qu’en l’absence d’introduction d’une séquence d’ADN contenant un gène issu d’une espèce différente, une plante portant des modifications génétiques ne devrait pas être évaluée selon le même modèle que les OGM », note Delphine Guey, responsable des affaires publiques du GNIS. D’où la nécessité de communiquer au cas par cas sur la nature des nouvelles caractéristiques des variétés, et non sur les techniques utilisées. Dans ce sens, le combat d’arrière-garde que livre le dernier bastion des militants anti-OGM réunis autour de Guy Kastler contre les variétés tolérantes aux herbicides (VTH) issues de la mutagénèse ne peut que renforcer l’argumentaire des sélectionneurs français. En effet, incapable d’imposer une interdiction pour toutes les plantes obtenues par les techniques de mutagénèse (certaines étant d’ailleurs autorisées en agriculture biologique), le collectif anti-OGM de Guy Kastler se polarise précisément sur l’une des caractéristiques précises de ces variétés (la tolérance à un herbicide), et plus sur l’outil utilisé (la mutagénèse).
En revanche, la communication outre-Atlantique de l’Américain DuPont, qui se focalise principalement sur « cet outil innovant de sélection variétale » qu’est la technique CRISPR-Cas9, sans préciser la nature de l’action réalisée –comme il le fait dans son annonce sur la commercialisation de son futur maïs waxy, principalement utilisé pour les produits préparés et le recyclage du papier–, n’est pas des plus habiles. Ceci est d’autant plus dommage que, comme dans le cas du champignon, ce maïs n’a pas intégré d’éléments externes dans son génome, l’outil CRISPR-Cas9 ayant été, encore une fois, simplement utilisé pour inactiver un gène. Alors que l’Union européenne est en cours de réflexion sur la réglementation à utiliser pour cette nouvelle technique de correction du génome, on aurait pu s’attendre à un peu plus de finesse de la part du semencier américain…