Difficile de prétendre que la joie et l’enthousiasme étaient au rendez-vous du 54ème Salon de l’Agriculture, qui a accueilli cette année environ 620 000 personnes. Soit largement moins que le record de 2014, avec ses 703000 visiteurs. Pourtant, le passage de tous les candidats à l’élection présidentielle – à l’exception de Jean-Luc Mélenchon, candidat d’une agriculture « paysanne et écologique » – aurait pu être l’occasion d’un dialogue enrichissant sur le futur de notre agriculture.
« On n’attendait rien des sortants, mais on espérait un débat de fond avec les candidats, et on a été déçus », résume le président du Salon, Jean-Luc Poulain, qui regrette que pas un seul d’entre eux « ne soit venu nous dire : “Voilà ma vision pour l’agriculture, la production, l’exportation, la fiscalité“ ». « Les agriculteurs ont envie de vivre de leur métier, et la question des revenus n’a pas été abordée », déplore le président. Les candidats ont rencontré des éleveurs « crevés » et « fauchés », note pour sa part Michel Guichet, un exploitant de bovins et volailles et producteur de maïs basé près d’Orthez, dans les Pyrénées-Atlantiques.
La critique est sévère, car en réalité plusieurs projets ont été clairement exposés. D’abord ceux de François Fillon – qui a de très loin le programme agricole le plus abouti – et d’Emmanuel Macron, les deux candidats se distinguant par leur vision nettement productiviste, avec des plans de modernisation (de 5 milliards pour Macron et 6 pour Fillon). En revanche, ceux de Benoît Hamon et de Marine Le Pen s’inscrivent dans une politique de rupture. Programme plutôt écolo-bobo pour Hamon, dont la priorité consiste à faire la chasse aux « pesticides dangereux » ; et plutôt poujadiste pour Marine Le Pen, qui s’imagine qu’il est possible, au XXIème siècle, de revenir à une forme de modèle agricole replié sur lui-même. La candidate du FN souhaite ainsi passer de la Politique Agricole Commune à la Politique Agricole Française. « On a toujours mieux commercé quand il y n’avait pas l’Union européenne », a-t-elle déclaré. Quelle méconnaissance de l’histoire agricole !
À la sortie de la guerre, la France était totalement sous-équipée et dépendante des importations pour une part non négligeable de son alimentation. Paradoxalement, notre pays a acquis son autosuf sance alimentaire grâce aux aides négociées dans le cadre du plan Marshall, puis grâce à cette PAC et cette Europe que Marine Le Pen souhaite pourtant jeter aux orties…
Son idée d’un « patriotisme économique et de la francisation des aides » ne peut que conduire le monde agricole dans le mur. Faire croire que tout ira bien si on se débarrasse de l’Europe est une illusion bien dangereuse. Aujourd’hui, ce sont plus de 9 milliards d’euros que l’UE reverse aux agriculteurs français. Et surtout, nos amis européens demeurent de très loin nos clients les plus fidèles. C’est avec eux – et non pas sans eux – que nous devons construire cette Europe agricole aux visages multiples, basée sur des productions de qualité et rémunérées à leur juste prix. C’est ce que proposait Xavier Beulin, européen convaincu, dans son livre devenu son testament depuis le 19 février 2017. Sa parole a beaucoup fait défaut lors de ce Salon.