Avec son dernier opuscule intitulé Nous voulons des coquelicots 1, le journaliste Fabrice Nicolino revient en force dans le débat agricole après une discrétion médiatique remarquée de plus de dix ans, lorsqu’il avait rédigé Pesticides, révélations sur un scandale français. Que du recyclé dans son nouvel ouvrage de moins de 125 pages, mais l’occasion pour lancer l’appel « Nous voulons des coquelicots ». Toujours aussi excessif, Nicolino prétend désormais ne plus reconnaître son pays : « La nature est défigurée. Un tiers des oiseaux ont disparu en quinze ans ; la moitié des papillons en vingt ans ; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards ; les grenouilles et les sauterelles semblent comme évanouies ; les fl eurs sauvages deviennent rares.» « Ce monde qui s’efface est le nôtre, et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive », regrette l’auteur qui demande qu’on lui rende ses coquelicots et « la beauté du monde ! ».
#Mescoquelicots près d’Aix en Provence pic.twitter.com/QSQZvGOdYk
— nunucastor (@NunuCastor) 13 septembre 2018
Pour ce faire, Nicolino exige ni plus ni moins que « l’interdiction de tous les pesticides, seule solution pour nos corps et nos esprits, seul espoir de retrouver oiseaux, abeilles et papillons ». A l’exception notoire des pesticides toxiques pour les abeilles, le sol et les oiseaux utilisés en agriculture biologique mais qui seraient «coquelicot-compatibles»…
La contre-offensive sur les réseaux sociaux
Si l’essentiel des médias se sont contentés de relayer les propos apocalyptiques du journaliste militant, la réponse des agriculteurs sur les réseaux sociaux a été en revanche bien plus pertinente. « Chez moi, il y a des coquelicots dans la luzerne… il suffit juste de sortir dans la campagne pour les voir !», note ainsi @aggrikol. Sous le hashtag #mesCoquelicots, de très nombreux agriculteurs ont ainsi posté de magnifiques photos de leurs champs et de leurs vignes ornés de cette belle fleur, tandis que d’autres en ont profité pour rappeler que, toxique et invasif, le coquelicot peut aussi rendre les cultures impropres à la vente. « Sans pesticides, les champs seront plus jolis, plus rouges, mais les silos moins pleins, les épis moins beaux, et l’économie agricole moins…florissante », rétorque par exemple @PHautefeuille. « Le jour où vous verrez des coquelicots partout dans les champs vous serez à la veille de ne plus trouver toute la nourriture disponible pour tous. Bon appétit ! », commente pour sa part un autre twitto.
Le jour où vous verrez des coquelicots partout dans les champs vous serez à la veille de ne plus trouver toute la nourriture disponible pour tous bon appétit
— Patrick Oudin (@paysanretraite) 12 septembre 2018
Manifeste anti-pesticide: Sans pesticide, les champs seront plus jolis, plus rouges, mais les silos moins pleins, les épis moins beaux, et l’économie agricole moins… florissante. #Mescoquelicots #coquelicots https://t.co/EF12x61raE
— Patrick Hautefeuille ⚫️ (@PHautefeuille) 11 septembre 2018
Dans le concert médiatique, quelques rares voix dissonantes se sont toutefois également fait entendre. C’est notamment le cas de Géraldine Woessner. La journaliste d’Europe 1 rappelle que si les évolutions de l’agriculture depuis quarante ans ont en effet conduit à une réduction drastique des messicoles – en raison de leur concurrence avec les plantes cultivées – et que si des espèces autrefois communes sont menacées (notamment la Delphinium orientale), tel n’est pas le cas des coquelicots. « Le Plan national d’action pour la conservation des messicoles recense 102 espèces : 7 sont considérées comme disparues, 52 sont en situation précaire (disparues de plus de la moitié des départements depuis 1970), 30 sont à surveiller, et 12 sont encore abondantes, dont le coquelicot. » Elle ajoute : « Pas qu’on cherche particulièrement à le préserver, mais il résiste vaillamment à certains types d’herbicides. » Des propos confirmés par le ministère de l’Agriculture dans son dernier rapport sur la surveillance biologique du territoire. Bref, qu’importe le sentiment de Nicolino, le coquelicot n’est franchement pas le symbole approprié de la disparition d’une espèce horticole. Au contraire !
Le complotisme sauce Nicolino
Là n’est pourtant pas la question. Rédigé en collaboration avec François Veillerette, le patron de Générations Futures et par ailleurs lobbyiste du monde de l’agriculture bio, l’opuscule de Nicolino tente de faire croire qu’il existerait un immense complot, organisé par les multinationales et qui contrôlerait l’appareil de l’Etat français. « Ce sont des puissances économiques colossales qui marchent du même pas pour défendre le système économique des pesticides. Toutes les politiques de réduction ont échoué parce qu’elles se heurtaient à ce lobby enraciné dans l’appareil d’Etat », clame ainsi Nicolino sur France Culture.
Ce serait le cas de Patrick Dehaumont, l’actuel directeur général de l’alimentation, « l’héritier de Thierry Klinger, “héros” du Gaucho », et surtout de Roger Genet, le directeur de l’Anses, accusé d’avoir commis le crime suprême : accorder une interview à A&E dans laquelle il admet n’avoir aucun élément scientifique lui permettant « un retrait immédiat » du glyphosate. Par conséquent, Nicolino exige « le départ immédiat, volontaire ou non, de Roger Genet ». « Il doit quitter l’Anses. Tout de suite », écrit-il dans Charlie Hebdo, avec son ton inquisitoire habituel. La raison d’une telle fureur : Genet, se sentant « intouchable », se serait mis en « situation d’insubordination par rapport au chef de l’Etat qui l’emploie ». « On a viré des préfets pour beaucoup moins que cela », s’indigne Nicolino.
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Quoi qu’en pense Nicolino, la mission de l’Anses n’a pourtant jamais été de mettre en œuvre la politique du gouvernement, mais d’éclairer la représentation nationale par des avis indépendants fondés sur des connaissances scientifiques. En aucun cas, l’Anses ne doit se faire l’écho de la vox populi, même lorsque cette dernière est reprise pour des raisons opportunistes par le chef de l’Etat.
» Nous voulons des coquelicots » : Une pétition bidon
Le côté résolument vindicatif de Nicolino explique certainement que l’Appel du militant radical n’ait finalement pas été entendu par tant de citoyens, comme en témoigne le manque de succès des premières manifestations, tenues le 5 octobre.
En réalité, la pétition censée rassembler 5 millions de signatures en deux ans est une vaste farce ! En effet, un simple test permet de constater que le formulaire en ligne ne vérifie aucune zone. « C’est du grand n’importe quoi. Mails bidons, codes postaux délirants… C’est comptabilisé. Avec quelques bénévoles imaginatifs, on doit pouvoir faire le million très vite », s’indigne Olivier Hertel, journaliste à Science & Avenir. « On peut rentrer plusieurs noms et e-mails bidon, et c’est pris en compte sans limites », note pour sa part le sociologue Valéry Rasplus. La réaction de Générations Futures ne s’est pas fait attendre : l’association a immédiatement bloqué l’accès de son compte Twitter au sociologue !
L’absence de la Conf’
Le manque de succès de l’Appel s’explique également par l’absence notoire de la Confédération paysanne, pourtant plutôt proche des positions radicales anti-pesticides de Nicolino. Dans une note interne 2, rédigée le 19 septembre 2018, la Conf’ explique les raisons qui l’ont amenée à ne pouvoir « ni signer ni relayer cet appel en l’état ». Elle constate d’abord « ne pas avoir été contactée en amont du lancement de cette campagne ». Ce qui est en effet assez curieux au regard des positions clairement anti-pesticides du syndicat paysan. La Conf’ déplore ensuite que « cet appel ne tient pas compte de la réalité agricole et des paysans ». « Avec une interdiction totale et immédiate des pesticides en France, s’il n’y a pas d’aide pour que les paysans aient un revenu et que la partie la moins aisée de la population ait accès à une alimentation de qualité, les prix des fruits et légumes locaux seront prohibitifs », poursuit le syndicat qui estime que, en l’état, la sortie des pesticides « conduira à la catastrophe ». « Adieu la souveraineté alimentaire, les petites et moyennes fermes ne pourront survivre, l’agriculture sera industrielle et délocalisée. »
Lire et télécharger
la note interne de la Confédération paysanne à l’appel des 100 : « nous voulons des coquelicots »
A ces raisons de fond, s’ajoute l’attitude vindicative de Fabrice Nicolino, adepte des attaques ad hominem tous azimuts. Ainsi, en septembre 2017, lors de la campagne opportuniste de Carrefour sur les « légumes interdits », Nicolino n’avait pas hésité à traiter Guy Kastler, l’un des responsables de la Confédération paysanne, de « vendu », en raison de sa collaboration avec la grande enseigne de distribution. On peut comprendre le manque d’enthousiasme du responsable de la Commission « semences » à la Confédération paysanne, qui est au demeurant loin d’être le seul à avoir subi l’opprobre de Nicolino. Ce fut également le cas de Pascal Canfin du WWF, Yannick Jadot de Greenpeace, Sébastien Genest de FNE, et bien entendu de Nicolas Hulot ou encore François de Rugy, tous classés comme «écologistes de cour 3». S’appuyer sur des associations qui, selon Nicolino, auraient « tué l’écologie » pour faire vivre sa campagne relève d’un certain culot… Quoi qu’il en soit, au final, les « badges-coquelicots » restent bien plus rares que les coquelicots dans les champs d’agriculteurs.
Notes
- Nous voulons des coquelicots, Fabrice Nicolino, François Veillerette, Les liens qui libèrent, septembre 2018.
- Note Interne : réaction de la Confédération paysanne à l’appel des 100 : «Nous voulons des coquelicots», 19 septembre 2018.
- Cette expression fait référence aux « juifs de cour », terme désignant au XVIIIe siècle les juifs qui ont occupé de hautes fonctions administra- tives ou nancières auprès des princes ou ducs allemands.