Rencontre avec Alain Deshayes, Président de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) au sujet de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
Quelle est votre analyse de l’arrêt rendu par la CJUE ?
La CJUE a confirmé que les plantes issues de traitements mutagènes modifiés sont bien des OGM selon la Directive 2001/18. Mais, alors que la Directive stipule que ces organismes sont exemptés de son champ d’application, la Cour de Justice estime « qu’ils relèvent, en principe, de la Directive et sont soumis aux obligations prévues par cette dernière ». De plus, la Cour assimile les nouvelles technologies de modification des génomes à celles de la transgénèse et affirme que « les risques liés à l’emploi de ces nouvelles technologies pourraient s’avérer analogues à ceux résultant de la production et de la diffusion d’OGM par voie de transgénèse…». C’est donc logiquement qu’elle conclut que « la Directive sur les OGM s’applique également aux organismes obtenus par des techniques de mutagenèse apparues postérieurement à son adoption ». En clair, cela signifie que les technologies d’édition génomique ne sont donc pas exemptées, en application du principe de précaution.
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Quelles sont, selon vous, les conséquences de cet avis ?
Nous pensons que l’avis de la CJUE va avoir des conséquences négatives pour la recherche et le développement, et va pénaliser les filières semencières, agricoles et agro-alimentaires, ainsi que les consommateurs. Une telle situation paraît assez paradoxale, à un moment où l’on veut réduire l’utilisation des intrants (produits phytosanitaires, engrais, eau) et où l’on doit adapter rapidement nos cultures aux effets des changements climatiques.
Des pays, tels que les États-Unis, le Brésil, l’Australie, l’Argentine et le Japon, ont mis en place des réglementations simplifiées destinées à favoriser le développement de produits issus de ces technologies.
Si l’UE devait mettre en place une réglementation stricte pour le contrôle de certaines variétés végétales issues d’édition génomique, elle subirait une distorsion de concurrence par rapport aux pays qui auraient autorisé le développement de ces technologies. La question se poserait alors de l’identification des plantes mises sur le marché et donc importées en Europe : qui aurait la responsabilité de les identifier ? Serait-ce le pays exportateur qui les considérerait comme des variétés «traditionnelles » ou le pays importateur ? Et selon quel critère, puisque l’on peut penser que la plupart des modifications génomiques apportées ne seraient pas détectables par un tiers ? Ces questions ne sont pas théoriques. Des pays, tels que les États-Unis, le Brésil, l’Argentine, l’Australie et le Japon, ont mis en place des réglementations simplifiées destinées à favoriser le développement de produits issus de ces technologies. Des produits ont d’ailleurs déjà été validés par l’USDA, tels un maïs tolérant à la sécheresse (Pioneer) et un soja riche en acide oléique (Calyxt), et de nombreux autres dossiers sont en cours de traitement.
Quelles sont les répercussions possibles sur l’agriculture biologique ?
La position exprimée par la CJUE pourrait avoir d’autres « effets cachés » inattendus. En effet, s’il était confirmé que tous les organismes issus de l’édition génomique doivent être soumis à la Directive 2001/18, par conséquent assimilés à des OGM, même si certains devaient être exemptés, cela pourrait conduire nombre de producteurs, transformateurs et distributeurs, à réviser leur stratégie quant à l’offre de produits « sans OGM ».
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Par ailleurs, on peut également se demander si l’agriculture biologique ne devrait pas s’interdire purement et simplement d’utiliser des semences issues de la mutagenèse parce que clairement identifiées par la CJUE comme des OGM, même s’ils sont exemptés.
Quelles sont les solutions pour sortir de l’impasse ?
La réaction spontanée consisterait à souhaiter une harmonisation rapide de toutes les Directives et Règlements divers, incluant le protocole de Carthagène, ainsi qu’une harmonisation des réglementations entre les grands pays agricoles, afin de rendre cohérentes les pratiques du commerce mondial. Cela impliquerait d’entreprendre immédiatement une refonte de la Directive, afin de clarifier certains points, dont celui qui a trait à la définition d’un OGM, de prendre en compte les évolutions scientifiques et technologiques survenues depuis sa rédaction et d’anticiper le mode de gestion des évolutions ultérieures.
Diverses initiatives en ce sens ont récemment été prises par des scientifiques, des associations, des parlementaires et par des groupements de pays, initiatives auxquelles l’AFBV ne s’oppose d’ailleurs pas. Toutefois, nous estimons que privilégier cette voie signifierait s’engager dans de longues négociations entre des partenaires qui ont souvent des visions et des intérêts divergents. Il faudrait, de plus, prendre en considération les contraintes, justifiées mais imprévisibles, des débats publics incontournables.
Que proposez-vous alors ?
Tout en reconnaissant la nécessité de la démarche précédente, qui demandera encore beaucoup de temps, nous préconisons une solution de très court terme visant à sauvegarder les capacités de l’UE à continuer de travailler efficacement grâce aux technologies d’édition génomique.
C’est dans cet état d’esprit, avant même que l’avis de la CJUE ne soit publié, que, de concert avec l’association allemande WGG, nous avons écrit au Président de la Commission européenne et aux Commissaires concernés afin de les inciter à prendre des décisions qui soient en harmonie avec ce qui se pratique dans d’autres pays. Dans cette lettre, nous suggérions la création rapide d’une autorité européenne adaptée, afin de valider au cas par cas l’exemption de trois types de plantes issues des technologies d’édition génomique :
- les plantes éditées pour le caractère ciblé, débarrassées par croisement des éléments créateurs de l’édition génomique (ségrégants négatifs) qui avaient été introduits;
- les plantes issues de l’édition génomique qui ont subi une délétion, quelle que soit sa taille, ou une substitution d’une paire de bases ou une insertion inférieure à 20 paires de bases;
- les plantes ayant incorporé un gène natif provenant d’une espèce sexuellement compatible (cisgenèse).
Nous estimons que la Commission, en vertu de l’article 16 de la Directive, est habilitée à prendre ce type de décision. Suite à l’avis de la CJUE, au début octobre, l’AFBV et le WGG ont renouvelé et précisé leurs demandes d’actions rapides auprès de la Commission.
Parallèlement, nous avons écrit au Conseil d’État pour lui demander de différer toute résolution sur les technologies d’édition génomique tant que la Commission n’aura pas pris de décision.