AccueilBiotechnologiesLe camp des anti-OGM divisé sur la mutagénèse

Le camp des anti-OGM divisé sur la mutagénèse

Au sein des associations anti-OGM, la décision de la CJUE n’a pas fait que des heureux en raison de certaines divergences concernant les variétés qui devraient relever de la directive 2001/18 sur les plantes issues des biotechnologies végétales. Explications.

La fête a battu son plein pour la Confédération paysanne et les associations anti-OGM françaises le 25 juillet 2018, lorsque la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu son arrêt considérant « que les organismes obtenus par mutagénèse sont les OGM ».

Guy Kastler, qui fut l’un des principaux architectes de la mobilisation contre les plantes issues de mutagénèse, qualifiées d’« OGM cachés », affichait alors sa pleine satisfaction, tout comme l’avocat des Faucheurs volontaires, Guillaume Tumerelle, à la manœuvre dans ce dossier.

À lire aussi : Retour sur l’arrêt de la CJUE sur la mutagenèse

Toutefois, la position de la CJUE n’a pas fait que des heureux au sein des structures connues pour leur opposition farouche aux OGM. Et en tout premier lieu, dans les rangs des lobbyistes du bio. Car, en confirmant que les variétés issues de la mutagénèse étaient bel et bien des OGM – certes non réglementés –, la CJUE a mis à mal l’un des arguments principaux du lobby du bio, qui soutient, à tort, qu’il n’y a pas d’OGM en bio.

En effet, ces variétés sont très largement utilisées par les agriculteurs bio, comme l’a admis Daniel Evain, secrétaire de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab) lors d’un webinaire organisé par l’Ifoam Europe en février 2021, où il a exprimé son désarroi : « On a une grande difficulté aujourd’hui avec les OGM non réglementés qui sont en agriculture biologique. » Et de préciser : « Je pense à tous ceux qui sont issus de mutagénèse aléatoire, qui sont exemptés de réglementation mais qui sont bien des OGM. […] On dit toujours à nos clients qu’il n’y a pas d’OGM en agriculture biologique, et en fait on s’est rendu compte qu’avec la décision de la CJUE, il y a des OGM, mais ils ne sont pas réglementés. On est peut-être allé vite en besogne. »

Les déçus du rapport de la CJUE

Cependant, le lobby du bio n’est pas le seul à avoir été contrarié par l’arrêt de la CJUE. C’est également le cas du collectif No Patents on Seeds !, réunissant une quinzaine de structures européennes comme Testbiotech, Oxfam,Corporate Europe Observatory, ou encore Genethical Network, dont l’objectif est de lutter contre « le nombre croissant de brevets sur les plantes, les semences et les animaux de ferme ».

S’inquiétant de l’impact des brevets « sur les agriculteurs, les sélectionneurs, l’innovation et la biodiversité », No Patents on Seeds ! appelle ainsi « à repenser de toute urgence le droit européen des brevets dans le domaine de la biotechnologie et de la sélection végétale et à adopter des réglementations claires qui excluent de la brevetabilité la sélection conventionnelle, le matériel génétique, les animaux, les plantes et les aliments qui en sont dérivés ! ».

Dans les faits, c’est plutôt Guy Kastler et les autres militants anti-OGM français qui, par leur combat contre la mutagénèse, ont brouillé les différences, créant une situation ubuesque pour le secteur de l’agriculture biologique

À l’instar de nombreux semenciers, les membres de No Patents on Seeds ! sont opposés aux brevets sur la sélection végétale conventionnelle. Depuis la conférence organisée à l’initiative de la France en décembre 1961, plus de soixante-dix pays ont d’ailleurs adopté un système parallèle aux brevets – le certificat d’obtention végétale (COV) – qui permet aux semenciers d’avoir un libre accès aux variétés, dès lors qu’elles servent à la recherche.

Dans son combat contre les brevets, le collectif No Patents on Seeds ! a lancé le 24 novembre 2021 une pétition réclamant la tenue d’une conférence ministérielle des États contractants de l’Office européen des brevets « dans le but de prendre des mesures efficaces pour mettre fin à l’octroi de brevets sur la sélection conventionnelle végétale et animale », dont la mutagénèse. Le texte de la pétition précise : « Cela doit inclure l’interdiction des brevets sur les processus de croisement, de sélection et de mutations aléatoires, ainsi que la prise de mesures pour empêcher l’extension de la portée des brevets accordés sur les techniques de génie génétique aux plantes et aux animaux issus de la sélection conventionnelle. » En clair, afin d’avoir l’assurance que des brevets ne seront pas déposés sur les plantes issues de la mutagénèse aléatoire (in vivo ou in vitro), No Patents on Seeds! estime que cette technique doit être considérée comme de la sélection conventionnelle.

L’association craint effectivement que l’arrêt de la CJUE modifie la donne. Car si ces variétés ne sont plus considérées comme issues d’une sélection végétale conventionnelle, mais bien comme des « OGM », il deviendrait en effet possible pour un semencier de les breveter. Un dégât collatéral que Guy Kastler n’avait visiblement pas anticipé…

Le collectif anti-brevets estime enfin que « de nombreuses entreprises brouillent intentionnellement les différences entre la sélection conventionnelle et le génie génétique dans leurs demandes de brevet. Si ces brevets sont accordés, ils peuvent couvrir des plantes (ou des animaux) issus de la sélection conventionnelle et héritant de mutations aléatoires. C’est un moyen pour les grandes entreprises, telles que Bayer, Corteva, BASF et Syngenta, de contrôler de plus en plus la sélection conventionnelle ».

Dans les faits, c’est plutôt Guy Kastler et les autres militants anti-OGM français qui, par leur combat contre la mutagénèse, ont brouillé les différences, créant d’une part une situation ubuesque pour le secteur de l’agriculture biologique, et d’autre part, ouvrant la possibilité à une extension des brevets. Ce qui aboutirait à consolider la position déjà très dominante de quelques multinationales. En particulier si la règle du brevet, et non celle du COV, devait s’appliquer également aux futures variétés issues des NBT…

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