AccueilActualitésGlyphosate : une dangereuse dérive de la justice

Glyphosate : une dangereuse dérive de la justice

La décision du tribunal administratif de Montpellier au sujet de l’annulation d’une AMM accordée par l’Anses pose un problème de fond sur le champ de compétences des magistrats

Le 12 mai, le tribunal de Montpellier a annulé l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de deux herbicides à base de glyphosate commercialisés par Syngenta (Touchdown Forêt et Touchdown Système4), donnant ainsi gain de cause à l’association antipesticides Générations Futures, à l’origine de ce contentieux.

Le tribunal a en effet estimé que les scientifiques de l’Anses avaient failli dans leur expertise. Une accusation gravissime au regard de la mission de cette agence, chargée d’analyser les risques des pesticides avant leur mise sur le marché.

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Ces magistrats ont-ils eu raison ? La gravité du dossier, et sa complexité, mérite qu’on s’y intéresse de près. Selon ces juges, les toxicologues de l’Anses n’auraient pas correctement évalué le risque qui concerne « la diversité et l’abondance des vertébrés et arthropodes terrestres non ciblés via des interactions trophiques ». Ils ont en effet estimé que ce risque aurait dû être analysé en vertu du règlement d’exécution n°2017/2324 de la Commission du 12 décembre 2017.

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Sauf que l’on ne mesure pas un tel risque comme on mesure le taux de cacao dans une tablette de chocolat. Ce type d’évaluations est nettement plus compliqué ! Et encore faut-il définir une méthode d’analyse et qu’elle soit uniformisée au niveau européen, ce qui, comme l’a fait savoir l’Anses, n’est pas encore le cas. D’où l’absence de demande de la part de l’agence sanitaire à la société requérante de l’évaluation de ce risque précis, en vérité impossible à réaliser sans la définition préalable d’un protocole adéquat.

En outre, jusqu’à aujourd’hui, ce problème particulier n’a jamais été un sujet de préoccupation pour l’ensemble des agences sanitaires, notamment au regard du mode d’action propre au glyphosate, car si risque il y a, il serait certainement très faible. Cet argument avait d’ailleurs convaincu le procureur qui, dans son réquisitoire, a estimé que l’Anses avait traité ce dossier correctement, et que les AMM des deux produits ne devaient pas être remises en cause.

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Telle ne fut pas, cependant, la lecture des magistrats de Montpellier, qui, pour comble de l’absurde, ont accordé plus de crédit à l’argument d’une association militante antipesticides qu’à celui de l’Anses. Le président du tribunal, Éric Souteyrand, n’a même pas convoqué l’avis d’un expert tiers. En fin de compte, le tribunal a préféré suivre l’argumentaire des avocats de Générations Futures, et estimé que ce qu’il considère comme une « absence de mise en œuvre d’une procédure d’évaluation complète » lui conférait le droit de brandir le fameux principe de précaution qui « n’aurait pas été respecté ». Et c’est donc en s’en prévalant qu’il a pris la décision d’annuler les AMM des deux formulations.

Une double atteinte

Cette décision est à double titre problématique. D’abord, quant à sa légitimité. Comment concevoir, en effet, que des magistrats puissent remettre en cause l’expertise scientifique d’une agence dont l’objet est précisément d’apporter un avis scientifique irréfutable, notamment aux élus de la République ? Revient-il à un tribunal de juger de la façon dont une évaluation scientifique doit être réalisée ? Ces magistrats ont-ils vraiment toutes les compétences requises pour apprécier la qualité d’une expertise scientifique, notamment sur son volet de toxicologie environnementale ? La réponse à toutes ces questions est bien entendu négative.

Ces magistrats ont-ils vraiment les compétences requises pour apprécier la qualité d’une expertise scientifique, notamment sur son volet toxicologique ?

Ensuite, on peut raisonnablement se demander si le principe de précaution justifiait vraiment une annulation de l’AMM ou s’il s’agit là d’un abus de son usage. Inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement, le principe de précaution concerne en effet les risques environnementaux incertains qui « pourraient affecter de manière grave et irréversible l’environnement ». Ce qui, d’ores et déjà, ne semble pas être le cas, le glyphosate ayant été utilisé depuis des dizaines d’années partout dans le monde sans que « la diversité et l’abondance des vertébrés et arthropodes terrestres non ciblés via des interactions trophiques » aient été affectées de façon « grave et irréversible ». Si tel était le cas, cela se saurait !

Et même à supposer que cela soit le cas, la Charte de l’environnement précise que les autorités publiques devraient, avant de mettre en œuvre « des procédures d’évaluation des risques », adopter « des mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage », les deux mots clés étant « provisoires » et « proportionnées ». Or, comme on ne peut qu’admettre qu’une annulation pure et simple est, au contraire, « définitive », et « disproportionnée », l’usage du principe de précaution apparaît clairement comme un abus de droit. De là, l’impérieuse nécessité de faire appel de cette décision, avec l’espoir que d’autres magistrats remettront la justice dans le droit chemin…

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