AccueilDécryptageScientifiques en rébellion : Quand l’idéologie décroissante est érigée en vérité scientifique

Scientifiques en rébellion : Quand l’idéologie décroissante est érigée en vérité scientifique

Avec le mouvement Scientifiques en rébellion, nous assistons à l’émergence de scientifiques qui s’engagent dans la bataille écologiste. Un phénomène qui n’est pas nouveau, sauf qu’aujourd’hui, ces chercheurs font passer leurs convictions idéologiques anticapitalistes pour des vérités scientifiques

Le 10 mai dernier, le mouvement Scientifiques en rébellion a organisé diverses manifestations dans plusieurs villes de France « pour alerter sur les projets suicidaires de Total Energies et BNP Paribas ».

Sur une grande bombe factice confectionnée par ses membres, on pouvait ainsi lire l’inscription : « Bombes climatiques : qui sont les vrais écoterroristes ? »

Ce collectif de scientifiques a été créé en France à l’occasion d’une tribune parue dans Le Monde du 20 février 2020, sur le modèle des appels lancés en Grande-Bretagne qui ont donné naissance au collectif international Scientist Rebellion. Il est étroitement lié à Extinction Rebellion (XR), le mouvement écologiste radical d’origine anglaise qui s’est distingué par de spectaculaires actions directes et blocages, ainsi que des opérations d’écosabotage. Tous deux se réclament du même constat : les actions militantes habituelles n’ayant pas eu d’effets, désormais, la désobéissance civile s’impose. « Nous appelons à participer aux actions de désobéissance civile menées par les mouvements écologistes, qu’ils soient historiques (Amis de la Terre, Attac, Confédération paysanne, Greenpeace…) ou formés plus récemment (Action non-violente COP21, Extinction Rebellion, Youth for Climate…). Nous invitons tous les citoyens, y compris nos collègues scientifiques, à se mobiliser pour exiger des actes de la part de nos dirigeants politiques et pour changer le système par le bas dès aujourd’hui », clame le collectif dans sa tribune.

Voir aussi : Scientifiques en rébellion : amalgame entre science et opinions politiques personnelles

Que des scientifiques aient des engagements politiques est tout à fait légitime. Ce fut par exemple le cas d’Albert Einstein, militant pacifiste qui appela à la désobéissance civile contre le maccarthysme. Ou encore de Bertrand Russell, militant proche des idées socialistes et organisateur du tribunal Russell-Sartre contre les crimes commis pendant la guerre du Vietnam. À l’âge de 89 ans, celui-ci fut même emprisonné pendant sept jours pour « violation de la paix », après avoir pris part à une manifestation antinucléaire à Londres. En France, le prix Nobel de chimie Frédéric Joliot-Curie, engagé au sein du Parti communiste français, fut récipiendaire du prix Staline international pour la paix. Aveuglé par son idéologie, le physicien avait même témoigné en 1949 contre Victor Kravchenko, un exilé soviétique qui avait décrit dans un livre la terreur et les camps en URSS. Bref, les exemples de scientifiques engagés ne manquent pas.

Ils se présentent de façon systématique vêtus d’une blouse blanche, afin de suggérer que leur discours, qui ne porte pas nécessairement sur leur champ de compétence, relève de la vérité scientifique

Cependant, la démarche des militants de Scientifiques en rébellion se révèle profondément différente de celle de ces figures historiques.

Du mauvais usage des blouses blanches

Tout d’abord, sur la forme. Se revendiquant du slogan « les données scientifiques sont claires », ils se présentent de façon systématique vêtus d’une blouse blanche, afin de suggérer que leur discours, qui ne porte pas nécessairement sur leur champ de compétence, relève de la « vérité scientifique ».

« Avec une blouse, le public nous écoute plus facilement, c’est plus difficile de nous traiter de hippies ou de zadistes », admet volontiers Élodie Vercken, directrice de recherche à l’Inrae et militante de Scientifiques en rébellion, qui confie au site Reporterre que, chaque fois qu’elle se présente comme scientifique, elle ressent « quelque chose de différent », comme « une barrière qui sautait plus facilement ». Une approche qui n’est cependant pas du goût de tout le monde, comme en témoignent les propos de l’ancien membre du Giec François Gemenne, par ailleurs directeur du conseil scientifique de Yannick Jadot lors de l’élection présidentielle de 2022 : « Le port de la blouse blanche pendant ces actions représente un argument d’autorité détestable ! », s’est-il ainsi indigné dans un entretien accordé à Libération.

De même, si la géographe Magali Reghezza-Zitt, membre du Haut Conseil pour le climat, déclare comprendre que ses collègues se lancent dans la désobéissance civile, elle insiste cependant sur « la différence entre [s]on avis de citoyenne et les faits scientifiquement démontrés », craignant que « l’un nuise à l’autre » dès lors qu’ils sont confondus. Et de mettre en garde contre la tentation d’« utiliser la légitimité scientifique pour quelque chose qui ne relève pas de la science ».

Des fausses vérités scientifiques

Ensuite, il apparaît que bon nombre de vérités scientifiques affichées par les militants de Scientifiques en rébellion n’ont rien de… scientifique ! Elles s’inscrivent dans une stratégie globale de la nébuleuse écologiste, consciente d’avoir besoin d’une caution scientifique pour augmenter sa crédibilité. « Il manquait en France une légitimité scientifique au mouvement citoyen de désobéissance civile », insiste le sociologue Milan Bouchet-Valat, lui-même membre de Scientifiques en rébellion. Cette caution appuie ainsi de façon systématique des affirmations qui ressortissent de l’idéologie ou de la simple opinion, quand ce n’est pas de propos parfaitement contestables.

Ainsi, le 2 février dernier, sept membres du mouvement des Scientifiques en rébellion et une quinzaine de militants de XR sont venus perturber le déroulement d’une conférence organisée par l’Afis (Association française pour l’information scientifique), en accusant le glyphosate d’être « un rouage mortifère au service d’une agriculture intensive caractérisée par d’immenses exploitations en monoculture ». « Les études scientifiques sont formelles : l’impact de l’agriculture intensive, cause majeure du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, n’est plus à prouver », indiquait alors leur communiqué de presse, mettant en cause « ce système délétère [qui] ne profite qu’à quelques multinationales. Un système pourtant soutenu par la FNSEA et le gouvernement ». Et en des termes plus proches d’une déclaration politique que d’un texte scientifique, le communiqué concluait : « Nous sommes malades d’une alimentation toxique produite par un système agricole à bout de souffle. Il est temps de Changer de Régime ! »

Un mois plus tard, au moment du Salon de l’agriculture, Scientifiques en rébellion s’en prenait de nouveau aux agriculteurs, en organisant à Paris un cortège funèbre « pour dénoncer les conséquences catastrophiques du recours massif aux pesticides et pro- mouvoir un autre modèle agricole ». Cette action, menée avec le soutien de XR, Pollinis et Générations Futures, a mis en scène un « die-in » – manifestation où on simule la mort – réunissant des membres de la Red Rebel Brigade, vêtus de rouge « pour symboliser le sang des espèces éteintes ».

Pour la mise à mort du capitalisme

En fait, ces scientifiques apportent leur caution à un mouvement dont l’objectif, parfaitement identifié, consiste en la mise à mort du système actuel de croissance économique. Un objectif qu’ils entendent bien faire partager, comme en témoigne le site britannique de Scientist Rebellion qui, sous la bannière prétentieuse de « The Science », explique que « pour éviter le dérèglement climatique, il faut d’abord en nommer les causes. Le modèle économique capitaliste actuel de croissance (exponentielle) sans fin sur une planète finie est clairement insoutenable : par définition, cela signifie qu’il doit prendre fin ». Et ils brandissent des « études scientifiques solides » pour justifier la sortie du capitalisme : « Bien que certains interprètent ces propositions comme intrinsèquement idéologiques, il s’agit de conclusions issues d’une étude scientifique solide. » Le texte poursuit : « Le capitalisme – en particulier dans son incarnation néolibérale moderne – doit être abandonné ou transformé au point d’être méconnaissable si la civilisation humaine veut survivre. » Logiquement et sans surprise, il cible alors les « exploitations agricoles modernes [qui], dans le but de surpasser leurs rivales, gavent le bétail d’antibiotiques, utilisent des pesticides destructeurs d’insectes et débarrassent la faune de tout l’espace disponible pour semer des monocultures rentables ».

Un credo repris par la branche française du mouvement qui, dans sa première tribune, dénonçait « les objectifs de croissance économique » du gouvernement, « en contradiction totale avec le changement radical de modèle économique et productif qu’il est indispensable d’engager sans délai », sans oublier de fustiger « un consumérisme débridé et un libéralisme économique inégalitaire et prédateur ».

« L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », estime Élodie Vercken

Un tweet d’Élodie Vercken daté de juin 2021 illustre à merveille la radicalité de ces propos par l’image d’une pancarte portant le message : « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage. » Et son commentaire enfonce le clou : « Le capitalisme est responsable de la crise du climat et de la biodiversité. Espérer qu’un système fondé sur l’exploitation d’autrui et de la nature pourra s’autocorriger, ce n’est plus de la naïveté mais de l’idéologie. »

De son côté, l’un des créateurs du collectif, Julian Carrey, enseignant-chercheur à l’Insa Toulouse, qui se définit politiquement comme « anarchiste-écolo-décroissant », a confié à L’Obs qu’il a « abouti à la conclusion, en plongeant dans la littérature scientifique, que la décroissance était le seul moyen d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris ».

Pour lui comme pour les autres membres du mouvement, l’idéologie décroissante relève d’une vérité scientifique indiscutable. À la différence d’un Russell ou d’un Einstein, qui n’ont jamais prétendu que leurs idéaux de société étaient établis sur une quelconque vérité scientifique, les Scientifiques en rébellion affirment haut et fort qu’il faut – au nom de la science – instaurer le seul modèle politique valable à leurs yeux, en l’occurrence une société écolodécroissante anticapitaliste.

Un soutien aux actions violentes

Enfin, les modes d’action encouragés ou soutenus par les Scientifiques en rébellion interpellent. Alors que Julian Carrey confiait en janvier 2023 que « si la violence aux personnes est une [ligne rouge] pour tous les membres, le cas des dégradations matérielles n’a pas encore été discuté collectivement », le collectif n’a cependant pas hésité à prendre position en faveur des Soulèvements de la terre (SLT), mouvement qui avait délibérément accepté la présence de plusieurs centaines de militants violents et armés lors des événements de Sainte-Soline. Dans un texte en date du 30 mars 2023 intitulé « En soutien de la résistance, nous sommes les Soulèvements de la terre », les Scientifiques en rébellion encensent ainsi les SLT qui « proposent un autre monde », ajoutant qu’à Sainte-Soline, « cette envie bienveillante et joyeuse de monde meilleur était portée, partagée et vécue par les 30000 personnes présentes ». On appréciera la nuance « bienveillante et joyeuse », quand il s’agit pour ces militants d’abattre la société industrielle dans laquelle nous vivons, quitte à procéder à diverses formes d’écosabotage !

Pour Julian Carrey comme pour les autres membres du mouvement, l’idéologie décroissante relève d’une vérité scientifique indiscutable 

À ce stade, le collectif des Scientifiques en rébellion reste très minoritaire dans le monde de la recherche. Mais certains scientifiques de renom n’hésitent pas à franchir le pas, apportant leur soutien à la désobéissance civile. C’est le cas de la paléoclimatologue et coprésidente du groupe 1 du Giec Valérie Masson-Delmotte, qui a déclaré au Monde que « la désobéissance civile élargit la fenêtre d’Overton [le champ de l’acceptable en politique, NDLR] ». « Elle peut amener certains acteurs institutionnels ou économiques à prendre plus au sérieux les rapports du Giec, qui apparaissent, en contrepoint, comme très consensuels », estime la chercheuse, qui affirme dans les colonnes de Libération : « Les mouvements sociaux pour la justice climatique – qui prennent de nouvelles formes d’actions de résistance non violente, parfois perturbatrices – peuvent faire partie des catalyseurs pour accélérer l’action pour le climat.»

Hostile à la dissolution des SLT, elle a encore confié à Libé qu’elle ne se reconnaissait pas « dans une société où le dialogue est impossible ». Sauf que ni les SLT, ni les Scientifiques en rébellion, ne semblent disposés au dialogue, mais bel et bien engagés dans une lutte sans merci pour abattre la société capitaliste.

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