AccueilJuridiqueVictoire en demi-teinte pour les Soulèvements de la Terre

Victoire en demi-teinte pour les Soulèvements de la Terre

Si la décision du Conseil d’État dans l’affaire des Soulèvement de la Terre (SLT) a créé une déception certaine dans le monde agricole, une lecture attentive de l’avis permet d’en saisir la vraie signification, finalement bien moins en la faveur des activistes

Sitôt que le Conseil d’État a prononcé l’annulation du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre (SLT), l’une de ses porte-parole, Léna Lazare, s’est dite « soulagée », se réjouissant d’une décision « juste et légitime ».

Rien n’était en effet acquis puisque, lors de l’audience du 27 octobre 2023, le rapporteur public Laurent Domingo avait plutôt fourni des arguments en faveur d’une dissolution, en estimant notamment qu’il y avait un « caractère récurrent » dans les appels à la violence de ce mouvement, qui abritait en son sein « des éléments radicalisés qui ont abandonné la voie traditionnelle du militantisme écologique au profit d’actions de destruction ». Et il avait aussi fait valoir que les actions des SLT « sont en dehors du champ de la désobéissance civile ».

Les conclusions de la commission d’enquête

Ces propos corroborent parfaitement le rapport parlementaire de la commission d’enquête concernant les groupuscules violents rédigé par Patrick Hetzel, député LR du Bas-Rhin, et Florent Boudié, député Renaissance de la Gironde, qui conclut à la « responsabilité écrasante » de ce mouvement dans « le déferlement de violences constaté à Sainte-Soline le 25 mars 2023 ». La commission d’enquête note ainsi que « tous les éléments recueillis indiquent que les organisateurs de la manifestation de Sainte-Soline se sont pensés avant tout comme des “soldats” d’une cause intégrant pleinement l’enjeu et la nécessité de la radicalité violente ».

— Lire aussi :
Les Soulèvements de la Terre mouvement ultra violent dont l’objectif est d’appauvrir la société

Elle souligne également que « les trois organisations [SLT, Confédération paysanne et le collectif Bassines non merci !] ont refusé le dialogue avec les services de l’État, rendant impossible la formalisation d’un véritable dispositif prévisionnel, tant en matière de maintien de l’ordre que d’évacuation des blessés ». Enfin, la commission insiste sur le cas particulier des SLT, dont le discours tente à relativiser les violences à l’égard des biens « au moyen d’une rhétorique fallacieuse fondée sur le concept de “ désarmement” », participant ainsi à « un glissement plus large et préoccupant des mouvements écologistes radicaux vers le recours à la violence ». À noter que ce groupement rejette toute violence contre les personnes afin de se préserver, selon ses dires, de toute accusation de violence illégitime.

Le fiasco politique de Gérald Darmanin

Sans vouloir commenter la base juridique de la décision du Conseil d’État, les parlementaires Laurence Garnier et Mounir Belhamiti, respectivement sénatrice Les Républicains et député Renaissance, ont, pour leur part, publié dans Le Figaro une tribune avertissant du risque de voir s’ « ancrer dans les esprits l’idée que le vandalisme était plus efficace que le dialogue ». Et d’observer que, « à peine la décision rendue, les activistes l’ont déjà interprétée comme une acceptation tacite de leurs agissements ». « Dans leurs déclarations publiques, sur les réseaux sociaux, ils s’appuient déjà sur la décision du Conseil d’État pour accréditer l’idée qu’il serait légitime d’encourager les actes violents, de bafouer la propriété privée, de détruire des outils de travail, à l’image du saccage des exploitations des maraîchers nantais en juin dernier », remarquent avec raison les deux parlementaires, qui poursuivent : « Ils entendent mettre à profit l’annulation de leur dissolution pour laisser prospérer l’idée qu’il serait légitime de commettre des violences sur nos forces de l’ordre, que les événements de Sainte-Soline ont brutalement mise en avant. »

Comme l’analyse le politologue Eddy Fougier, cité par la journaliste Géraldine Woessner dans un article du Point, « Gérald Darmanin voulait tuer dans l’œuf ce nouveau collectif… Non seulement il échoue, mais il lui a offert une formidable notoriété, et a permis à l’extrême gauche de faire une OPA sur toute l’écologie en France, en inhibant toute forme de voix raisonnable ou modérée ». Ainsi donc, l’initiative du ministre de l’Intérieur constituerait, selon ce politologue, un véritable fiasco politique.

Mais une clarification juridique intéressante

En revanche, du point de vue juridique, la victoire est moins évidente, comme l’a parfaitement perçu Jean Leymarie de Radio France : « Attention aux apparences ! Pas d’erreur… Le Conseil d’État n’incite pas à détruire les mégabassines ni à saccager les chantiers d’autoroutes », note ainsi le chroniqueur, en poursuivant : « Sa décision n’est pas un soutien aux Soulèvements de la Terre, ni à leurs méthodes. Elle est même critique. »

Car, en effet, que dit le Conseil d’État ? Il valide le fait que le collectif s’est livré à des « provocations et à des agissements violents » à l’encontre de biens, qu’il est « complaisant » lorsqu’il relaie les images de violence, et surtout que l’État est en droit de le surveiller. « Les juges n’appellent pas au soulèvement ! », conclut à raison Jean Leymarie.

« Ce n’est pas du tout une victoire pour les Soulèvements de la Terre. En réalité, cela ressemble plutôt à une défaite », estime l’avocat Arnaud Gossement

Une analyse partagée par l’avocat Arnaud Gossement, spécialisé en droit de l’environnement qui affirme que « ce n’est pas du tout une victoire pour les Soulèvements de la Terre. En réalité, cela ressemble plutôt à une défaite », avant de mettre en évidence plusieurs points essentiels figurant dans les attendus.

En premier lieu, il rappelle que le Conseil d’État a confirmé que, contrairement aux affirmations de ses membres, le collectif était bel et bien « un groupement de fait », et qu’à ce titre, il peut être poursuivi en tant que personne morale, et qu’il a, en effet, fait preuve de « complaisance » pour avoir « relayé des images et vidéos d’affrontements de manifestants avec des forces de l’ordre ». Le Conseil d’État a, en outre, rejeté « l’argument selon lequel ces prises de positions pourraient être justifiées pour un motif d’intérêt général », précise Arnaud Gossement. En clair : ni le droit de l’environnement ni la désobéissance civile ne peuvent être invoqués pour justifier de telles incitations à la violence contre les biens, et moins encore contre les personnes. Bien au contraire.

« Le Conseil d’État me semble ici répondre à ceux qui ont cru lire dans son ordonnance de référé-suspension une prise de position quelconque quant aux actions de désobéissance civile », souligne l’avocat, qui estime que les magistrats vont même « plus loin dans la critique de ces agissements en indiquant que ceux-ci (prises de positions, initiatives, relais…) entrent bien dans le champ d’application du 1° de l’article L.212-1 du code de la sécurité intérieure ». Cet article, rappelons-le, justifie la dissolution d’une association ou d’un groupement lorsque ceux-ci incitent les personnes par des propos ou des actes, explicitement ou implicitement, à se livrer à des manifestations armées ou des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens de nature à troubler gravement l’ordre public.

Plus précisément, l’avocat note que la décision du Conseil d’État « définit la notion de provocation », en clarifiant son champ, puisqu’il indique que « le seul fait de légitimer publiquement des agissements d’une gravité particulière ou de ne pas modérer sur ses réseaux sociaux des incitations explicites à commettre des actes de violence peut constituer une telle provocation ».

Enfin, il observe également que le Conseil d’État a rejeté la demande d’annulation des mesures de surveillance de ce groupement. Ainsi, si ce dernier ne pouvait pas faire légalement l’objet d’une dissolution, il peut parfaitement continuer à faire l’objet d’une surveillance. L’avocat en conclut qu’« on peut être très critique quant à ces agissements et juger que la réponse à ces derniers ne peut pas être la dissolution dudit groupement », et il en tire le constat que, « en très résumé et simplifié : on peut être contre l’action des SLT et contre leur dissolution ».

Des points de vue divergents

Mais alors, comment expliquer l’annulation du décret ? Tout simplement par le fait que dans le cas présent, les provocations implicites ou explicites à la violence contre les biens n’ont pas été jugées d’une gravité suffisante pour troubler l’ordre public. En outre, le Conseil d’État a estimé qu’aucune provocation explicite ou implicite contre les personnes ne pouvait être imputée aux SLT.

Ce qui a tout naturellement ulcéré les représentants des forces de l’ordre, qui se sont indignés auprès du Point : « Le Conseil d’État estime-t-il que les policiers blessés lors de leur intervention, qui visait justement à empêcher les atteintes aux biens, sont des meubles ? »

Réaction analogue de la part du monde agricole : « A-t-on réellement conscience qu’une telle décision va inévitablement galvaniser ceux qui préfèrent détruire que construire ? », se demande Éric Thirouin, le président de l’AGPB (Association générale des producteurs de blé), qui juge que « ce climat de terreur idéologique » est devenu « insupportable ».

L’appréciation du monde agricole, qui se trouve directement confronté aux agissements des SLT, se différencie clairement de l’avis du Conseil d’État, selon lequel la mesure de dissolution est « disproportionnée » face à « la liberté d’association ». Pour les magistrats, toute dissolution requiert l’existence de « troubles graves à l’ordre public ». Certes, mais se pose alors la question d’évaluer ce qui est « grave » et ce qui ne l’est pas… De toute évidence, le décès de l’activiste Rémi Fraisse le 26 octobre 2014, lors des affrontements sur le chantier de la retenue d’eau de Sivens, n’a pas suffi pour convaincre de la « gravité » de ce genre de manifestations, auxquelles participe désormais une ultra-gauche qui s’inscrit dans la tradition violente de la mouvance anarchiste.

Comme le résume Arnaud Gossement, le Conseil d’État a donc plutôt choisi de lancer un avertissement aux SLT, avec la réserve que son appréciation, forgée « à la date du décret attaqué », pouvait parfaitement évoluer, en fonction des faits qui leur seront spécifiquement reprochés.

«  Bien que les SLT aient remporté une première manche, le Conseil d’État a finalement fixé des règles pour encadrer l’incitation à la violence à l’égard des biens comme des personnes »

Autrement dit : bien que les SLT aient remporté une première manche, les règles sont désormais fixées pour encadrer l’incitation à la violence à l’égard des biens comme des personnes. Ce qui, en fin de compte, met en échec le positionnement des SLT qui militait pour que seules les atteintes aux personnes puissent tomber sous les coups de la loi et du respect de l’ordre public.

Pour aller plus loin :
Derniers articles :

Dans la même rubrique

La protection de l’agriculture inscrite dans la loi comme d’intérêt général

Inscrire dans la loi le fait que la protection de l’agriculture relève de l’intérêt général de la nation ouvre un nouveau chapitre pour la...

Recevez notre newsletter pour ne pas manquer nos infos, analyses et décryptages