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Les géants du bio se cherchent

« Vu de loin, la dynamique des produits bio est impressionnante »,
affirme Morgan Leclerc, journaliste à l’hebdomadaire LSA. « Mais pour l’observateur averti, la réalité est moins riante », s’empresse-t-il de préciser. En effet ! Selon les dernières estimations de l’Agence Bio, la croissance en valeur des produits bio en France s’est confirmée. Avec un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros en 2010, ce marché affiche une croissance d’environ 10 %. Mais il ne représente que 2 % du marché alimentaire total. Même comparé à la restauration rapide (32 milliards d’euros en 2010, en hausse de 60 % depuis 2004), il reste très marginal. Les Français dépensent toujours deux fois plus pour l’achat de sandwiches (6,4 milliards d’euros en 2010) que pour l’ensemble des produits bio !

« Les Français gardent une attitude positive vis-à-vis de la bio », se félicite toutefois l’Agence Bio, qui annonce qu’en 2010, 43 % des Français ont déclaré avoir consommé des produits biologiques au moins une fois par mois. Certes. Mais la pertinence et la signification de cet indicateur restent à prouver. D’autant plus qu’il est à la baisse. Tout comme le pourcentage des consommateurs quotidiens de produits bio, qui ne décolle pas des 7 % depuis 2006 (malgré un « record » à 9 % en 2009). Autrement dit, le taux de conversion des consommateurs occasionnels aux consommateurs réguliers du bio est à la limite du zéro. Signe que ces produits ne convainquent pas ceux qui les ont essayés.

Vive les fruits et légumes bio… importés !

Les produits bio les plus consommés restent les fruits et légumes (80 % des acheteurs), juste avant les produits laitiers (72 %) et les oeufs (57 %). Le hic,
c’est que les importations de fruits et légumes ne cessent elles aussi
d’augmenter (65 % en 2009, soit une hausse de 5 points par rapport à 2008 !). Ce qui s’explique aisément par le fait que la grande distribution a d’ores et déjà ouvert la chasse à la matière première la moins chère. Pour assurer sa campagne « 50 fruits et légumes bio vendus à moins de 1 euro », le groupe Auchan n’a pas hésité à délaisser les producteurs nationaux. Résultat : la croissance de la consommation des fruits et légumes bio ne profite pas aux producteurs français. Un constat que déplorait déjà l’année dernière l’Association des producteurs de fruits et légumes biologiques de Bretagne (APFLBB).

Le pessimisme s’installe

Même les magasins spécialisés en bio connaissent un début de désillusion, avec un ralentissement tangible de leur croissance. « Le pessimisme est compréhensible, car la progression du bio est moindre qu’auparavant », admet Charles Kloboukoff, le PDG du groupe Léa Nature. Si les volumes progressent, la croissance est presque égale à zéro en valeur, précise-t-il, « car il y a une baisse du prix de chaque produit, due notamment au poids prépondérant des MDD [marques de distributeurs] et au dumping agressif des marques nationales ».

Christophe Barnouin, le patron de Distriborg, confirme cette analyse. Il souligne la nécessité de mettre en place « une usine à innovation » afin de dynamiser le marché. « Nous avons renforcé la communication autour de notre concept de bio-nutrition », indique le PDG, conscient que la pérennité de son entreprise repose sur une meilleure visibilité de ses produits face aux MDD. Et comme « la première raison qui pousse les consommateurs à venir au bio, c’est la santé », le géant du bio communique sur les bienfaits santé de ses produits. Ainsi, la marque Bjorg – filiale du groupe Distriborg – affirme sur son site que « selon le rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des iments (Afssa), on retrouve dans les produits bio beaucoup moins de nitrates (entre 30 et 50 %) et beaucoup moins de métaux lourds que dans l’agriculture conventionnelle ». Dommage que ces informations soient… erronées ! « Les nitrates sont souvent moins abondants dans les légumes bio, mais pas toujours. Par exemple en automne, lorsque l’ensoleillement est faible ou sous serre, ou en cas d’utilisation d’engrais azotés organiques rapidement assimilables (guano, farines de sang et de viande…), on retrouve autant, voire plus, de nitrates dans les produits bio que dans les conventionnels », rectifie Léon Guéguen, l’un des auteurs du rapport de l’Afssa. Il précise : « Quoi qu’il en soit, à l’exception des nourrissons, les nitrates alimentaires sont inoffensifs, et plusieurs études récentes montrent même leurs effets bénéfiques sur la santé ». Pour les métaux lourds, on ne peut pas conclure à une supériorité du bio. Bien au contraire ! Car les fientes de volailles ou le lisier des porcheries, autorisés en AB, concentrent les produits de traitement des animaux dont ils proviennent. Or, comme le note un agriculteur bio sur une liste de diffusion internet, ces farines « concentrent métaux lourds et résidus de traitements véto ». Conscient du problème, il ajoute : « Un de ces jours, ça va immanquablement finir par une campagne médiatique pour décrédibiliser la bio ». En outre, « les cultures bio sont bien plus exposées au cadmium des phosphates bruts non purifiés et surtout au cuivre, l’un des seuls fongicides autorisés en AB. Enfin, il faut y ajouter l’exposition plus forte à des contaminants divers de toutes les productions de plein air (privilégiées en AB, notamment pour l’élevage) », poursuit Léon Guéguen.

Chute des ventes de 13 %

Jouer la carte santé est donc un pari bien risqué. Tant que le consommateur reste convaincu d’un bénéfice santé, il peut s’avérer gagnant. Mais c’est déjà de moins en moins le cas. Notamment au Royaume-Uni, où les ventes de produits bio ont chuté de 13 % en 2009, avec un intérêt des consommateurs pour le bio qui s’étiole depuis deux ans. « Il y a deux raisons au désintérêt des consommateurs anglais pour le bio. Premièrement, ils ont moins d’argent, crise oblige. Ensuite, ils s’interrogent sur la plus value apportée par ces produits. Car rien n’indique qu’il y ait un bénéfice particulier pour la santé à en manger », note Ben Miller, de la société d’études IGD. Anticipant un mouvement identique en France, le groupe Léa Nature a déjà pris les devants : « L’axe de la gamme Jardin Bio, c’est l’éthique, le local, le plaisir, la praticité et le goût », indique Guillaume Hannebicque, responsable marketing et développement au sein du groupe Léa Nature. « Il faut faire évoluer le bio vers le bon », confirme son patron Charles Kloboukoff, qui multiplie les messages, parfois contradictoires. Ainsi, Léa Nature défend le commerce de proximité tout en proposant une gamme de produits en provenance du monde entier – comme ses confitures à base de fruits « exclusivement du Sud (Brésil, Équateur) » ou ses spaghetti quinoa-tomates. La marque, qui se veut être le défenseur du naturel, commercialise également de nombreux plats « prêts en 2 minutes », aussi industriels que ceux de Fleury-Michon. De quoi faire fuir les amateurs de potirons bleus de Hongrie ou de carottes blanches de Küttingen, disponibles dans certaines Amap…

Pris entre un désintérêt croissant des consommateurs, « de plus en plus
nombreux à se lasser de la petite musique verte »
comme le remarque Morgan Leclerc, et la marche forcée des géants de l’agroalimentaire, le secteur du bio réalise également une concentration des principaux acteurs. Après avoir avalé Kambio et Bio par Coeur, Léa Nature a pris une participation de 33 % dans Ekibio (propriétaire des marques Priméal, Bisson, Pain des Fleurs, Douce Nature, Ecodoo). Résultat : Entre Nutrition et Santé (qui réalise 300 millions d’euros de chiffre d’affaires et appartient au groupe pharmaceutique japonais Otsuka), le holding Distriborg (filière du groupe hollandais Wessanen depuis 2000, avec 170 millions d’euros de CA) et Léa Nature (100 millions d’euros de CA), l’essentiel du business bio est de plus en plus détenu par une poignée de leaders du secteur. Reste à savoir si les agriculteurs bio s’y retrouveront…

Source :

Le bio confronté aux réalités économiques, Morgan Leclerc et Angélique d’Erceville, LSA, 17 mars 2011.

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