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Le curieux patriotisme alimentaire de France 2

Alors que les filières agricoles connaissent des temps difficiles, France 2 poursuit sa campagne de dénigrement des denrées alimentaires produites sur nos territoires. Sa récente rediffusion d’un reportage à charge intitulé « Peut-on encore manger des pommes en toute sécurité ? », réalisé par Valérie Rouvière (une spécialiste de sujets chocs aussi divers que « Infidélité, mode d’emploi », « Aluminium, notre poison quotidien », « Ventes privées : un marché de dupes » ou « Vacances à prix cassés : comment éviter les arnaques »), témoigne du caractère systématique de cette croisade de la chaîne publique.

Tumblr A&E de tous les dessins

Pourtant, dès la première diffusion du reportage, le 5 mars dernier, la filière a été très réactive. L’Association nationale pommes poires (ANPP) a immédiatement adressé un courrier à France 2 et au Conseil supérieur de l’audiovisuel afin de porter à leur connaissance « les graves manquements à la déontologie audiovisuelle » dont ont fait preuve Valérie Rouvière et son équipe. « Tout le reportage ne sert finalement qu’à corroborer un injustifiable parti-pris contre les arboriculteurs, coupables, à en croire ses auteurs, d’empoisonner les Français en ayant recours de manière outrancière à l’usage des pesticides dans le cadre de leur culture », s’indigne son président, Daniel Sauvaitre. « Un certain nombre d’éléments factuels nous permettent de considérer que les auteurs de ce reportage ont pris leurs aises avec la plus élémentaire objectivité », poursuit-il.

L’équipe de Valérie Rouvière excelle en effet dans les techniques les plus rudimentaires de la manipulation (associations d’images tirées de faits sans lien, raccourcis visuels afin d’entretenir un climat dramatique, usage d’un fond musical glaçant, tri sélectif de l’information, etc.). L’objectif n’est pas d’informer, mais de conforter une thèse militante ou, pire encore, de réaliser un documentaire racoleur à des fins commerciales. « Les ficelles sont quelquefois tellement grosses que cela en serait risible si les conséquences n’étaient pas aussi graves », commente Daniel Sauvaitre.

Décryptage

Dans son blog, le président de l’ANPP décrypte deux de ces manipulations. La première a été réalisée à l’occasion de la visite de l’équipe de tournage chez Pierre Clos, un jeune pomiculteur de Manosque passionné par une nouvelle variété de pommes à chair rouge et aux caractéristiques organoleptiques intéressantes : la RedLove, sélectionnée en raison de sa résistance à la tavelure.

Sans se méfier, le pomiculteur a tout expliqué à Valérie Rouvière. Il a ouvert les portes de son exploitation à son équipe et a tout montré. Notamment sa chambre froide, qui permet de préserver pendant douze mois les qualités nutritionnelles de ses pommes, et ce grâce au SmartFresh, un conservateur de nouvelle génération.

Or, Pierre Clos était loin de se douter que la journaliste ne retiendrait pas ses propos ! En effet, elle était là pour tout autre chose : mettre en boîte un lot d’images à sensation. Comme par exemple le panneau signalétique à tête de mort qui avertit du danger mortel que représente une chambre froide fermée, pouvant contenir 2% d’oxygène… et que la journaliste associe au SmartFresh ! Au montage, cette séquence est commentée par une voix off qui décrit ce produit comme un « conservateur surpuissant », un « gaz qui se dépose sur les pommes » et qui serait « dangereux à inhaler ». Mais peu importe la torsion des faits : la ficelle fonctionne !

Retour à la réalité

Pourtant, Valérie Rouvière a bel et bien été informée des caractéristiques et de l’histoire de ce produit. Constitué d’une molécule de carbone et d’hydrogène simple, le SmartFresh s’attache au site récepteur de l’éthylène, la molécule responsable du périssement du fruit, pour ensuite se redécomposer en carbone, en hydrogène et en oxygène. Homologué en 2005, il a fait l’objet de très nombreuses études, et a conduit l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) à le considérer comme parfaitement inoffensif. Cet avis est conforme à celui des experts officiels en charge de la santé publique de 46 autres pays, ainsi qu’à celui des experts de l’Union Européenne, qui ont accepté sa commercialisation. L’utilisation du SmartFresh ne comporte donc aucun danger, ni pour l’opérateur, ni pour le consommateur. Ce que reconnaît d’ailleurs l’association anti-pesticides Pesticide Action Network North America, à travers la voix de sa porte-parole Susan Kegley, qui déclare que ce produit présente « vraisemblablement un très faible risque pour les consommateurs ».

Or, rien de tout cela n’est retenu par la journaliste, dont l’objectif évident est de présenter un sujet anxiogène. Quitte à prendre quelques libertés avec la réalité.

10 % de vitamines en plus

Mieux encore, le SmartFresh permet de préserver plus longtemps les propriétés nutritionnelles des fruits, et ce grâce à une quantité infinitésimale de produit pulvérisé. En effet, une seule cuillère à soupe suffit pour protéger 2 millions de pommes contre les effets néfastes de l’éthylène. « Plusieurs études en Allemagne ont prouvé que les pommes traitées au SmartFresh contiennent 10% de vitamine C en plus que les pommes témoins issues du même verger conservées en chambre froide », rappelle l’Association française pour l’information scientifique (Afis). Selon une étude chinoise publiée en octobre 2012 dans la revue Horticulture, Environment and Biotechnology, des pommes Fuji traitées au SmartFresh, stockées à maturité et conservées jusqu’à 30 semaines, auraient des niveaux plus élevés en flavonoïdes et une activité antioxydante plus importante que les fruits conservés sans SmartFresh. L’effet de ce produit sur les qualités nutritionnelles d’autres fruits et légumes a également fait l’objet d’études. On sait ainsi que le SmartFresh ralentit la perte de vitamine C dans le jujube chinois (Jiang et al., 2004), les pêches (Liu et al., 2005), l’ananas (Selvarajah et al., 2001) et la laitue (Boudou et Joyce, 2003 ; Tay et Perera, 2004).

Enfin, le SmartFresh participe à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Comme l’a démontré une étude néerlandaise réalisée par l’institut spécialisé AC Nielsen dans 24 magasins des Pays-Bas en 2006, les supermarchés approvisionnés exclusivement avec des pommes de qualité SmartFresh ont enregistré une réduction de 25% de leurs pertes en rayon.

Dans ces conditions, Pierre Clos, le jeune arboriculteur qui a consacré deux journées entières à l’équipe de tournage, peut être fier de son exploitation et de ses pratiques ! En outre, toutes les études convergent pour montrer qu’il y avait là matière à réaliser un très beau sujet, qui aurait présenté aux Français les bonnes pratiques mises en place dans nos filières.

Manipulation numéro deux

Mais tel n’était pas le choix de Valérie Rouvière. Son reportage offre un deuxième exemple de manipulation, encore plus honteux. Ainsi, après avoir stocké les images nécessaires pour présenter Pierre Clos comme un vilain productiviste plus préoccupé par l’apparence de ses pommes que par leur saveur, la journaliste n’a pas hésité à exploiter un drame social et humain pour servir sa cause. Et surtout à en tirer des conclusions loin d’être vérifiées et confirmées ! Pour ce faire, l’équipe de tournage s’est rendue dans ce qu’elle a baptisé délicatement le « triangle de la mort », une région de Corrèze délimitée par trois communes : Lubersac, Pompadour et Allassac. Là, elle a recueilli l’histoire malheureuse de Sorina Aparaschivei, une ouvrière agricole d’origine roumaine employée chez un pomiculteur local. Mais de manière… très sélective ! En effet, l’équipe s’est essentiellement basée sur les propos de Fabrice Micouraud, le fondateur de l’association Allassac, qui regroupe des militants engagés dans une guérilla contre les pomiculteurs de la région.

Sorina a rencontré les responsables d’Allassac en 2013. Suite à ce contact, elle a porté plainte contre son patron, qu’elle a accusé d’être à l’origine de ses problèmes de santé. Selon elle, le pomiculteur ne lui aurait pas fait porter les équipements de protection indispensables lors des traitements avec les produits phytosanitaires. Dans le reportage, Sorina témoigne à visage découvert de son calvaire. Et en effet, ses propos sont poignants.

Pourtant, là encore, la vérité est beaucoup plus complexe que celle présentée aux téléspectateurs de la chaîne publique ! Car l’histoire de Sorina est loin de se résumer à un conflit avec son ancien employeur…

La journaliste n’a pas hésité à exploiter un drame social et humain pour servir sa cause. Et surtout à en tirer des conclusions loin d’être vérifiées et confirmées !

Exploitation d’un drame social

Arrivée en France en 2008 avec son mari et ses enfants, Sorina est alors sans ressources, sans emploi et sans logement. La famille trouve assistance auprès d’une association caritative de Châteauroux, qui la met en contact avec un arboriculteur, Arnaud. Ce dernier décide d’accueillir toute la famille. Il l’héberge, trouve un travail au mari et engage Sorina sur son exploitation. Les deux enfants sont quant à eux scolarisés à l’école du village. Dans un premier temps, tout se passe plutôt bien. Sauf que le mari veut ensuite retourner en Roumanie, alors que Sorina préfère rester en France. Ce différend les conduit à traverser une période de violences conjugales très graves, qui se terminent hélas par le suicide du mari. Un jour, les enfants retrouvent leur père pendu dans l’appartement, alors que Sorina est encore sous le choc… des coups de marteau que son mari lui a administrés sur la tête avant de mettre fin à ses jours. « Sorina l’a échappé belle, mais a gardé des séquelles qui la conduisent à consommer en quantité des antalgiques comme le paracétamol. Jusqu’à devoir en réduire les doses tant elles lui provoquaient des troubles évidents. La vie continue et Sorina part habiter au village. Mais sa situation économique se détériore au regard des coûts plus importants qu’elle doit assumer », relate Daniel Sauvaitre sur son blog. C’est alors qu’elle rencontre Fabrice Micouraud. Le responsable d’Allassac la conseille, lui suggère de porter plainte contre son employeur et lui trouve un médecin afin qu’elle obtienne un arrêt de travail. Sorina saisit alors les prud’hommes, estimant être victime… d’Arnaud !
L’affaire est encore en cours.

Or, aucun de ces éléments n’apparaît dans le reportage de Valérie Rouvière. La journaliste a préféré laisser les téléspectateurs conclure que la manipulation des produits phytosanitaires était à l’origine des problèmes de santé de Sorina. « Il me semble qu’il y a matière à être prudent et à ne pas tirer de conclusions hâtives et définitives sur l’employeur forcément sans cœur et uniquement soucieux du lucre », écrivait au printemps Daniel Sauvaitre sur son blog. Le président de l’ANPP se demandait si les méthodes de l’équipe de tournage sont « dignes d’une émission diffusée sur une chaîne investie d’une mission de service public ».

France 2 lui a répondu par une fin de non recevoir. Pire, ignorant la liste des griefs émis à l’endroit de ce reportage – qui vont bien au-delà de ces deux seuls exemples–, la chaîne publique n’a pas hésité à le rediffuser le 27 août. Curieuse manière de participer à la promotion des produits de nos régions et au « patriotisme alimentaire » tellement souhaité par le gouvernement de Manuel Valls !

Sources :
 1. « C’est dur d’être filmé par des cons (nes). Ou quand toutes les pommes voient rouge », Daniel Sauvaitre, www.daniel-sauvaitre.com.
 2. Entretien avec Sorina, 28 octobre 2013.
 3. Courriers de l’ANPP au CSA et à France 2. 4. Culture et conservation des pommes : quand on prend les téléspectateurs pour des poires, Afis, 13 mars 2015.

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