La technique révolutionnaire baptisée CRISPR/Cas9 vient de frapper à nouveau. Cette fois-ci, le but était d’obtenir un concombre résistant à non moins de trois potyvirus : le virus du jaunissement des nervures du concombre, le virus de la mosaïque jaune et le virus des taches en anneaux du papayer. Transmis par des pucerons en plein champ, ces virus peuvent être à l’origine de dégâts considérables, réduisant les rendements jusqu’à 80 %.
Réalisée par une équipe israélienne de Volcani (le centre de recherche agronomique du ministère de l’Agriculture), dirigée par Amit Gal-On, cette prouesse consistait à s’attaquer directement et exclusivement à un seul gène de la cucurbitacée, le gène eIF4E, dont le rôle fondamental dans la propagation des potyvirus a été mis en évidence… en France !
L’histoire de ce concombre a commencé en 2002 dans les laboratoires de l’Inra. « Avec l’équipe de Carole Caranta, nous avons démontré que la mutation de ce gène, présent dans de multiples espèces, protège des variétés naturelles de piments contre certains potyvirus », indique Christophe Robaglia, du Laboratoire de génétique et de biophysique des plantes (CNRS-Aix Marseille), à l’origine de la découverte. Pour se développer, les virus – qui ne sont rien d’autre que des parasites dépourvus de mécanismes de reproduction – utilisent en effet la machinerie moléculaire de leur hôte. Les travaux de l’équipe de Christophe Robaglia ont ainsi démontré que le gène eIF4E, présent dans le concombre, code un facteur protéique qui assure la traduction de l’ARN du virus. Autrement dit, tout organisme dépourvu de ce gène spécifique devient automatiquement résistant aux potyvirus.
Sauf qu’inhiber un seul gène n’est pas une tâche aisée. La méthode classique utilisée jusqu’à présent consistait à provoquer des mutations aveugles ou plus ou moins ciblées, l’inconvénient majeur étant que l’on ne connaissait pas avec précision l’ensemble des mutations ayant lieu. Dans un second temps, il s’agissait d’isoler les plantes ayant la propriété souhaitée. Restait alors la partie la plus laborieuse : procéder à de multiples rétrocroisements afin de retrouver une plante qui possède un maximum des propriétés de la variété dans laquelle on a souhaité ajouter le gène muté. Un travail long et fastidieux, qui pouvait prendre jusqu’à dix ans.
Une autre méthode, plus récente, plus rapide et beaucoup plus précise, repose sur les technologies d’ARN interférence qui permettent de rendre un gène silencieux en ajoutant dans le génome, par exemple, une copie inversée du gène. Une variante a également été testée à Volcani : « Avant d’utiliser CRISPR/Cas9, nous avions obtenu des plantes résistantes aux virus en ajoutant une construction contenant un fragment du génome d’un virus. Une telle construction induit dans la plante une ”réponse immunitaire” contre le même virus qui est basée sur un mécanisme d’inactivation (silen- cing) génique », explique le chercheur israélien Amit Gal-On. Seul problème : il s’agit clairement d’un organisme ayant obtenu du matériel génétique exogène à la plante. Selon les différentes réglementations internationales, la plante devient alors un organisme transgénique. Donc soumis à un très long processus d’homologation.
Rien de tel avec CRISPR/Cas9, puisque son nouveau concombre ne contient aucun ADN exogène dans son génome. « Cette forme de résistance aux potyviridae pourrait être développée pour de nombreuses autres cucurbitacées (melon, pastèque et courge), mais aussi pour protéger d’autres espèces, par exemple la pomme de terre face au virus Y, ou bien le soja et le maïs contre le virus de la mosaïque », se réjouit le chercheur israélien.
Au sein du centre de recherche Volcani, la technologie CRISPR/ Cas9 fait désormais partie des outils disponibles à la sélection variétale : « Nous avons récemment mis en place un petit groupe qui utilise les techniques CRISPR/Cas9 dans nos programmes de recherche pour l’amélioration de la qualité de plantes et de fruits pour plusieurs légumes importants, au bénéfice à la fois des agriculteurs et des consommateurs », poursuit Amit Gal-On.
Bref, la boîte à outils des biotechnologies ne cesse de s’agrandir, avec de très beaux projets en perspective…