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BioCheck, un laboratoire aux curieuses analyses

C’est une scène qu’on a vue se répéter au cours de ces derniers mois dans différentes régions de France : entre 6 h et 8 h du matin, des grappes de personnes en sous-vêtements font la queue, attendant bien sagement leur tour pour uriner sous le contrôle d’huissiers. Ces prélèvements organisés par les Faucheurs Volontaires d’OGM sont stérilisés avant d’être envoyés à un laboratoire chargé d’y détecter la présence de glyphosate. Mis au chômage technique à la suite de l’abandon, en 2008, des cultures de plantes transgéniques en France, les Faucheurs Volontaires se sont ainsi mués en « Pisseurs Volontaires », avec à la clé une campagne menée contre le glyphosate autrement plus payante en termes médiatiques que celle laborieusement lancée contre les « nouveaux OGM ». L’association Campagne Glyphosate, créée pour l’occasion par les commandos faucheurs, explique que cette campagne de prélèvements urinaires donnera lieu à un dépôt de plainte : « Chaque personne porte plainte en son nom propre contre les personnes en responsabilité des firmes fabricant [sic] des pesticides à base de glyphosate et contre celles en responsabilité des organismes ayant contribué à leur mise sur le marché pendant les 3ème et 4ème trimestres 2017 et le 1er trimestre 2018. Elle est individuelle, mais portée collectivement. » Et Campagne Glyphosate d’ajouter sur son site : « 100 % des analyses ont été positives, preuve de la présence des pesticides dans notre organisme.»

 

 

Dessin de CRichard pour AE
Dessin de CRichard pour AE

100 % dans du lait maternel

Il ne s’agit pas là des premières analyses effectuées pour mesurer l’exposition de la population au glyphosate. En juin 2015, déjà, après que le CIRC eut classé le glyphosate comme « probablement cancérigène », le Parti vert allemand, Die Grünen, avait fait analyser 16 échantillons de lait maternel en Allemagne, avec 100 % de résultats positifs. L’histoire défraya la chronique outre-Rhin, déclenchant un vent de panique parmi les mères qui allaitaient leur bébé. Peu de temps après, 2000 échantillons d’urine de citoyens allemands furent analysés dans le cadre de « l’Urinale », une campagne menée par l’association anti-pesticides Bürgerinitiative Landwende. Cette fois-ci, on engrangea 99,6 % de résultats positifs. En mai 2016, le groupe des Verts au Parlement européen fit analyser l’urine de 48 eurodéputés, obtenant là aussi 100 % de résultats positifs. En mars 2017, 27 échantillons d’urine furent analysés chez des mères et des enfants danois, toujours avec 100 % de résultats positifs. Friande de ce type de coups médiatiques, l’association Générations Futures a fait tester en avril 2017 l’urine de 30 personnes, dont des personnalités comme Charline Vanhoenacker, Marie-Monique Robin ou Emily Loizeau… qui se sont toutes révélées contaminées à 100 % ! De même que la quinzaine de personnes testées pour les besoins de l’émission « Envoyé Spécial », en janvier 2019. Bref, le chiffre de 100 % semble bien être une constante infaillible de ces analyses. Du moins lorsque les prélèvements sont analysés par le laboratoire BioCheck, systématiquement à l’origine de tous ces résultats spectaculaires. Situé à Leipzig, ce laboratoire spécialisé dans le diagnostic vétérinaire et l’hygiène de l’environnement a été cofondé en 1997 par Monika Krüger, aujourd’hui retraitée.

Une militante anti-glyphosate

Vétérinaire de formation, Monika Krüger a commencé à s’intéresser au glyphosate au début de cette décennie, ainsi qu’elle le raconte elle-même : « C’est en 2010 qu’un obtenteur de semences m’a téléphoné pour me parler de ses observations sur les effets nuisibles du glyphosate. » Ensuite, vers 2012-2013, elle a croisé la route de certains éleveurs qui déclaraient avoir des problèmes de santé dans leurs cheptels. Tel était le cas, notamment, de l’éleveur danois de porcs Id Pedersen. En 2011, celui-ci suspecte l’alimentation – du soja génétiquement modifié – d’être à l’origine de malformations congénitales chez ses cochons. Ayant trouvé des traces de glyphosate dans la nourriture qu’il donne à ses porcs, il confie 38 porcelets mal-formés à Monika Krüger pour qu’elle en fasse l’autopsie. « Nous avons analysé leur cerveau, leur foie, leurs reins, leur estomac et même leurs muscles, et nous avons trouvé du glyphosate dans tous les organes et tissus. Cela veut dire que le glyphosate est capable de passer la barrière du placenta », conclut-elle alors. En outre, la biologiste de Leipzig mène des analyses sur des vaches malades dans le nord de l’Allemagne, détectant immanquablement du glyphosate dans leurs urines.

Le chiffre de 100% semble être une constante infaillible de ces analyses. Du moins lorsque les prélèvements sont analysés par le laboratoire BioCheck, systématiquement à l’origine de tous ces résultats spectaculaires.

Selon Krüger, l’évidence ne permet aucun doute : c’est le glyphosate contenu dans la nourriture OGM qui serait à l’origine de ces malformations. Depuis lors, Monika Krüger a rejoint le cortège des militants anti-glyphosate, faisant de son laboratoire la base référente des opposants à cet herbicide. En 2015, elle a signé le manifeste pour demander l’interdiction du glyphosate, et soutenu les travaux, pourtant largement discrédités, de Gilles-Éric Séralini. Elle a ensuite participé aux manifestations anti-OGM et été témoin au simulacre de procès contre Monsanto qui s’est tenu en octobre 2016. À l’instar de nombreux militants anti-pesticides, elle est devenue dans le même temps une ardente adepte de l’agriculture biologique. Les experts des agences sanitaires mondiales qui se sont penchés sur ses travaux, ont réfuté les hypothèses de la militante anti-glyphosate en se référant aux centaines de millions de bêtes nourries aux OGM à travers la planète sans connaître de problèmes de santé. Comme le fait observer Bruno Parmentier, ancien directeur général du groupe École supérieure d’agriculture d’Angers, la consommation d’OGM par des centaines de millions d’individus constitue « une bonne base statistique pour voir si ces produits sont dangereux pour la santé… et, à ma connaissance, ajoute-t-il avec malice, rien ! ». Et il va plus loin : « Nombre d’Américains ont du mal à comprendre pourquoi des Européens ont peur de manger des poulets nourris aux OGM, de même que nombre de Français sont stupéfaits d’apprendre que les Américains ne veulent pas manger de fromage au lait cru ! Pourtant, la vérité oblige à dire qu’aujourd’hui, le fromage au lait cru a tué davantage de gens que les OGM… » Un avis partagé par l’essentiel de la communauté scientifique. « Dans un article paru il y a quelques années, nous avons passé en revue plus de 50 publications portant sur des analyses génomiques et protéomiques d’OGM destinées à visualiser l’expression de tous les gènes. Résultat : l’impact de la transgénèse est insignifiant », note Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS. « Il ne reste aujourd’hui plus d’espace scientifique pour craindre un risque sanitaire inhérent à la nature “génétiquement modifiée” des variétés commercialisées après évaluation des risques telle qu’elle est pratiquée », affirme l’expert.

Des résultats contestés… et pour cause !

Mais ce n’est pas tout. Car, bien que BioCheck possède toutes les accréditations nécessaires pour mener ses analyses, certains de ses résultats se sont déjà vus contestés. C’est le cas du glyphosate retrouvé en 2015 dans 16 échantillons de lait maternel. Saisi immédiatement de l’affaire, l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) « a exprimé des doutes scientifiques quant à la fiabilité des résultats et a commandé sa propre étude afin d’obtenir des résultats compréhensibles et fiables ».

Le BfR a donc chargé des laboratoires de recherche européens renommés de développer deux méthodes d’analyse indépendantes à haute sensibilité pour tester 114 échantillons de lait maternel. Ces deux méthodes sont basées sur la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) ou la chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS/MS). L’Institut allemand précise : « Ces méthodes d’analyse sont donc plus de 10 fois plus sensibles que celles normalement utilisées pour l’analyse des résidus de pesticides dans les denrées alimentaires, et 75 fois plus sensibles que la méthode ELISA », qui est utilisée par BioCheck. Or, le résultat obtenu est sans appel : aucun résidu de glyphosate au-dessus de la limite de détection n’a été mesuré dans les échantillons de lait maternel testés.

Le BfR en a tiré la conclusion que la méthode de détection de BioCheck était tout simplement… inadéquate. « Le glyphosate n’est pas facile à détecter. Pour les solutions aqueuses (par exemple les eaux potables et souterraines, l’urine), on utilise le test ELISA. Dans les fluides complexes tels que le lait maternel, le test ne doit pas être utilisé parce que de nombreux composants du lait maternel (lipides, protéines, vitamines, etc.) peuvent interférer, [entraînant des risques de faux positifs] », a indiqué le journaliste scientifique allemand Ludger Wess.

analyse glyphosate laboratoires

Certes, ce test – bon marché puisque BioCheck ne le facture que 75 euros – est davantage adapté pour l’eau ou l’urine, mais avec des limites bien spécifiées par la société américaine Abraxis qui en est à l’origine : « En raison de la grande variabilité des composés que l’on peut trouver dans les échantillons, il n’est pas possible d’exclure complètement les interférences d’essai causées par les effets de matrice. » Laquelle souligne encore : « Les résultats positifs nécessitant une action réglementaire devraient être confirmés par une autre méthode.» Autrement dit, la société Abraxis admet qu’il n’est pas possible de se fier uniquement aux résultats de son test. Cela explique que celui-ci ne soit pas reconnu par les agences publiques en charge de la santé. Il reste qu’on ne peut qu’être troublé par le fait que BioCheck, avec ce test ELISA, soit le seul laboratoire à donner systématiquement 100% de résultats positifs. En effet, aucune étude publiée dans des revues sérieuses ne fait état de résultats aussi spectaculaires (voir tableau ci-contre).

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Il est donc très étrange que les journalistes d’« Envoyé Spécial » aient, eux aussi, choisi de soumettre leurs analyses à ce laboratoire et, surtout, en aient accepté les résultats sans le moindre recul. Sauf à supposer que la présence généralisée du glyphosate dans les urines fasse partie du script écrit avant la réalisation du reportage lui-même… Auquel cas l’équipe d’Élise Lucet n’aurait fait que procéder à un « cherry picking », méthode consistant à ne signaler que les faits ou données qui confortent son opinion, en laissant de côté tous les éléments qui infirment cette position…

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