Député européen pour le Parti socialiste depuis la démission d’Éric Andrieu en juin 2023, Christophe Clergeau figure en cinquième position sur la liste de Raphaël Glucksmann pour les élections de juin 2024. Il sera une figure incontournable du PS pour les dossiers agricoles
Nul doute que Christophe Clergeau, l’ancien chef de cabinet de Louis Le Pensec, ministre de l’Agriculture de 1997 à 1998, fera partie des élus du PS, et qu’il sera en charge des dossiers agricoles. Dont ceux qui concernent les pesticides et les nouvelles techniques génomiques (NGT).
En novembre 2023, lorsque le Parlement européen a rejeté la proposition de la Commission européenne du règlement Sur, qui prévoyait initialement de réduire de 50 % l’usage des pesticides dans l’UE d’ici 2030, c’est Christophe Clergeau qui a pris la parole pour déclarer que ce vote marquait « un jour triste ». L’élu socialiste a alors déclaré avoir vu « se déchaîner les lobbys agricoles, alimentaires, les grandes entreprises de l’agrochimie qui veulent continuer à vendre des produits qui leur apportent beaucoup d’argent mais qui sont des produits dangereux ». Ce positionnement, en accord avec la nébuleuse écologiste décroissante, est calqué sur celui de son prédécesseur Éric Andrieu, connu pour son militantisme anti-pesticides et anti-OGM. Celui-ci, dont le premier mandat d’eurodéputé remonte à 2009, a ainsi annoncé démissionner « un an avant la fin du mandat afin de préparer [son] successeur », de façon à ce qu’il soit pleinement opérationnel après l’élection de 2024. Visiblement, c’est d’ores et déjà chose faite…
Spécialiste ès stratégies
Dès son entrée au Parlement européen, Christophe Clergeau s’est en effet saisi des principaux dossiers agricoles d’Éric Andrieu, dont ceux concernant les pesticides et les NGT. « J’ai été tout de suite plongé dans les débats sur l’avenir de l’agriculture et sur la relation entre agriculture et environnement », explique-t-il au quotidien Ouest-France, précisant qu’il s’est « mobilisé fortement pour réduire l’utilisation des pesticides, pour sortir le plus vite possible du glyphosate, ou pour qu’on ne mette pas sur le marché des nouveaux OGM sans que les citoyens ou les agriculteurs aient le choix de les utiliser, de les manger, ou pas ». De fait, l’essentiel de ses interventions, sur les réseaux sociaux ou sur son blog, au Parlement européen, et lors de webinaires ou de conférences, se rapporte à ces deux thématiques agricoles sensibles, avec l’usage d’une communication particulièrement bien rodée.
Dès son entrée au Parlement européen, Christophe Clergeau s’est saisi des principaux dossiers agricoles d’Éric Andrieu, dont ceux concernant les pesticides et les NGT
Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque Christophe Clergeau est le fondateur d’un cabinet de conseil stratégique baptisé « C2Stratégies ». En réalité, il s’agit d’un cabinet de lobbying, qui propose de mettre son « expérience à la disposition des acteurs publics et privés qui ont besoin de reconfigurer leurs stratégies et de nouer de nouveaux partenariats ».
Centré sur la transition énergétique et l’« animation de la filière nationale des énergies marines renouvelables », C2Stratégies a ainsi déclaré à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique que, pour la seule période de 2020 à 2022, ses dépenses de lobbying auprès des élus français avaient été supérieures à 1,2 million d’euros. Aujourd’hui encore principal actionnaire de son cabinet de conseil, Christophe Clergeau assure cependant avoir, d’une part, cessé ses activités opérationnelles au sein de C2Stratégies, et, d’autre part, se consacrer entièrement à ses activités parlementaires, incarnant désormais l’aile écologiste du Parti.
Pourtant, rien ne semblait prédisposer l’élu socialiste à endosser le costume du parfait écologiste. Au début 2018, alors qu’il était président du groupe socialiste au conseil régional des Pays de la Loire, il avait, par exemple, jugé l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes comme « une trahison du président de la République, une décision à courte vue, un abandon de l’Ouest ». Or, s’agissant des sujets agricoles, Christophe Clergeau poursuit, voire consolide, le partenariat stratégique que son prédécesseur avait mis en place avec la mouvance écolobio, non sans prendre soin d’éviter tout discours trop marqué idéologiquement. « Je suis socialiste, donc je suis pour la science, pour le progrès ouvert à l’innovation », affirme-t-il ainsi, en se revendiquant non hostile aux « nouveaux OGM ».
Ce qui ne l’empêche pas, en tant que rapporteur fictif du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates sur ce dossier, d’être devenu le porte-parole de ceux qui visent à la mort du développement des NGT en Europe en leur imposant des contraintes trop strictes.
L’élu de la nébuleuse anti-NGT
Car, dans la réalité, l’eurodéputé socialiste et son assistant parlementaire spécialiste des questions agricoles, Frédéric Courleux, travaillent en étroite collaboration avec le lobby anti-OGM qui, selon l’association Inf’OGM, regroupe « une trentaine d’acteurs européens » à Bruxelles, dont Corporate Europe Observatory (CEO), les Amis de la Terre Europe, Greenpeace Europe, Testbiotech, Slow Food, Pollinis, ainsi que le principal lobby du bio, Ifoam Organics Europe, ou encore Demeter, le label de l’agriculture biodynamique… Soit des structures toutes radicalement opposées aux biotechnologies végétales, qui, à défaut de pouvoir les interdire, réclament des mesures d’encadrement contraignantes pour endiguer leur essor.
C’est ainsi qu’on retrouve Christophe Clergeau, le 7 septembre 2023, à la conférence « Une Europe sans OGM », la grand-messe européenne des activistes anti-OGM organisée depuis 2005 par Benedikt Härlin, responsable de la Zukunftsstiftung Landwirtschaft (Fondation pour l’agriculture du futur), une initiative de la fondation anthroposophique GLS Treuhand.
Et quelques jours plus tard, le 26 octobre, c’est l’eurodéputé lui-même qui organisait une conférence sur le sujet au Parlement européen. Sous le titre « Nouveaux OGM : connaissance scientifique, que sait- on ? », elle a fédéré de nombreux opposants aux OGM, comme Éric Gall, directeur adjoint d’Ifoam Organics Europe, et par ailleurs ancien activiste anti-OGM de Greenpeace.
Enfin, le 6 février 2024, à la veille du vote sur la proposition de loi NGT, Christophe Clergeau se félicitait sur X d’avoir rencontré, avec Raphaël Glucksmann, les associations ainsi que les agriculteurs de Via Campesina et de la Confédération paysanne mobilisés devant le Parlement pour s’opposer à la dérégulation des nouveaux OGM : « Nous les soutenons et défendons leurs revendications avant le vote de demain. »
Hostile à la réhomologation du glyphosate, Christophe Clergeau a également organisé sur le sujet une conférence au Parlement européen, en s’appuyant cette fois sur le principal lobby anti-pesticides de la capitale belge, Pesticide Action Network Europe. Dans le même temps, il a apporté son soutien à Secrets Toxiques – une coalition de 70 organisations initiée par Nature et Progrès, Campagne Glyphosate et Générations Futures – pour le dépôt du recours en annulation de la décision de la Commission européenne concernant le renouvellement du glyphosate.
Ainsi, l’eurodéputé socialiste entretient avec la nébuleuse écologiste une relation décomplexée qui lui assure une caisse de résonance indispensable à ses activités, moyennant quoi, il s’engage à porter au Parlement européen les revendications de ces associations écologistes.
L’eurodéputé socialiste entretient avec la nébuleuse écologiste une relation décomplexée qui lui assure une caisse de résonance indispensable à ses activités
Dans un mail daté de décembre 2023 auquel A&E a pu avoir accès, Christophe Clergeau demandait à un responsable du Synabio, le syndicat des entreprises agroalimentaires bio, de relayer sur ses réseaux sociaux les messages et les visuels qu’il produisait sur les « nouveaux OGM », en précisant avoir « besoin de votre soutien pour convaincre les autres députés ». Maîtrisant à la perfection les modes de fonctionnement du lobbyiste, il n’hésite pas à convoquer ces structures militantes pour obtenir les éléments nécessaires à sa croisade anti-NGT, comme en témoigne un tweet publié en octobre 2023, dans lequel il explique avoir consacré son après-midi à dialoguer avec les responsables d’associations hostiles aux NGT – comme le militant écolo déjà mentionné Benedikt Härlin, ou encore Clara Behr de Demeter, Charlotte Labauge de Pollinis et Astrid Österreicher de Testbiotech – et cela « pour recueillir leurs propositions afin d’améliorer le texte législatif proposé par la Commission européenne ». Ce qui lui a notamment permis, un mois plus tard, de déposer près de 150 amendements, « fruit d’échanges avec des scientifiques, des acteurs économiques et la société civile ». À ceci près qu’il s’agit uniquement de scientifiques militants engagés, d’acteurs du biobusiness et d’ONG écologistes.
Le tri des « experts »
Dans un souci d’éviter toute posture qui paraîtrait idéologique, Christophe Clergeau veille à toujours se prévaloir de la science et du droit, quitte à oublier de mentionner l’engagement militant radical de ses « experts ». Et pourtant, ce ne sont pas les preuves qui manquent : ainsi, pour un webinaire daté de décembre 2023, intitulé « Comprendre les nouveaux OGM pour mieux les réguler », il a convié Blanche Magarinos-Rey, une avocate en droit de l’environnement, proche de l’association écologiste radicale Kokopelli, afin de réaliser une analyse juridique de la proposition législative sur les NGT. Or, un mois plus tôt, l’avocate avait effectué une analyse juridique de cette même proposition à la demande de Corporate Europe Observatory (CEO), cheville ouvrière du lobby anti-OGM.
De même, lors de la conférence sur les « nouveaux OGM », Christophe Clergeau « remercie [ses] amis de Testbiotech qui apportent beaucoup dans cette réflexion comme organisation scientifique en lien avec de nombreux chercheurs en Europe »… alors qu’il s’agit ni plus ni moins d’une association anti-OGM dirigée par un ancien « expert » de Greenpeace Allemagne sur les OGM et les questions agricoles.
Enfin, à l’occasion de deux autres événements, l’un sur les NGT, l’autre sur le fameux glyphosate, l’eurodéputé socialiste a requis la participation de Michael Antoniou, présenté comme professeur de génétique moléculaire au King’s College de Londres et comme membre de l’Ensser (Réseau européen des scientifiques pour une responsabilité sociale et environnementale), « un réseau de scientifiques indépendants ». Or, l’Ensser est une structure réunissant exclusivement des scientifiques anti-OGM, parmi lesquels figure Arnaud Apoteker, ancien responsable de la campagne OGM de Greenpeace France.
Bref, on l’aura compris : il serait illusoire d’attendre de la part de Christophe Clergeau sur les dossiers des NGT et des pesticides une prise de position raisonnable et différente de celle de son prédécesseur.