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L’agenda caché de l’Ifoam : une guerre de sape contre « l’agriculture industrielle »

L’Ifoam, qui se présente comme une association pour la promotion de l’agriculture biologique, mène en parallèle une véritable guerre de sape contre toutes les autres formes d’agriculture une véritable guerre de sape contre toutes les autres formes d’agriculture

Dans le dessein de sortir le bio de sa niche actuelle et d’en faire le modèle général de l’agriculture, l’Ifoam (Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique) met en œuvre sa stratégie Bio 3.0, déjà décrite dans la première partie de ce dossier (voir «L’Ifoam et sa stratégie Bio 3.0», A&E n° 194, septembre 2020).

Lire aussi : L’Ifoam et sa stratégie Bio 3.0

Pour atteindre ses objectifs ambitieux et amplifier la croissance du secteur bio, l’Ifoam affiche un discours plutôt raisonnable, mettant en avant l’amélioration des pratiques de production, de la transparence ou encore de l’intégrité. Mais l’association de lobbying du bio se garde bien d’évoquer un aspect pourtant essentiel de sa stratégie : mener une guerre de sape contre l’agriculture telle qu’elle est pratiquée en Europe.

C’est ainsi qu’on retrouve dans les éléments de langage utilisés par cet organe de lobbying toutes les charges contre l’agriculture qui circulent au sein de l’écolosphère, comme en témoignent, notamment, les propos de Louise Luttikholt, la directrice exécutive d’Ifoam – Organics International, qui affirme que « l’agriculture est directement responsable de 80% de la déforestation dans le monde ».

Toujours selon celle-ci, les engrais chimiques utilisés pour faire pousser les aliments « sont responsables de la majorité des émissions de monoxyde d’azote dans l’atmosphère ». « L’agriculture non durable contribue au réchauffement global, contamine les sols, menace les moyens de subsistance en milieu rural et la sécurité alimentaire et nutritionnelle », en déduit-elle.

La présidente de l’Ifoam, Peggy Miars, tient un discours tout aussi accusateur en dénonçant cette « agriculture chimique » qui, à l’échelle mondiale, « fait désormais plus de mal à l’environnement que de bien ». Et elle enfonce le clou : « Il est actuellement plus avantageux financièrement de nuire à l’environnement, d’exploiter les gens et d’affecter négativement leur santé, que de protéger et d’améliorer nos ressources naturelles et de lutter pour le bien-être de notre société.» Autrement dit, aux yeux de l’Ifoam, l’agriculture conventionnelle doit être purement et simplement éradiquée, l’idée d’une coexistence pacifique et complémentaire entre l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle n’ayant de toute évidence jamais été d’actualité.

Campagnes publiques, lobbying…

Ce parti pris contre « l’agrobusiness » s’est naturellement concrétisé par des actions agressives, menées la plupart du temps en partenariat avec des ONG écologistes, dans le but de dénigrer les modes de production non bio.

Comme le reconnaît André Leu, à la tête de l’Ifoam de 2011 à 2017, l’Ifoam « est l’un des chefs de file de ces protestations ». Et de préciser : « En tant que président, je suis souvent appelé à participer à de telles initiatives dans le monde entier et à encourager les gens à s’impliquer pour exiger une agriculture véritablement durable, basée sur nos principes d’agriculture biologique. »

Ainsi, dans son rapport annuel de 2018, l’Ifoam se félicitait d’avoir lancé, avec vingt-quatre organisations européennes, la campagne #GoodFood4All « pour attirer l’attention des citoyens européens sur la nécessité d’une transition vers la culture de denrées alimentaires d’une manière qui nourrit les sols, préserve la biodiversité et protège les sources d’eau de la contamination ».

Dans le cadre de cette campagne, l’Ifoam a réalisé et diffusé une vidéo déclinée en douze langues, intitulée « Où sont passés tous les oiseaux ? », dans laquelle elle affirme : « L’agriculture industrielle change le paysage et tue les insectes, aliment vital des oiseaux. […] Nous pouvons agir. En achetant des aliments biologiques, en soutenant une agriculture respectueuse de la biodiversité et durable. »

C’est ainsi qu’on retrouve dans les éléments de langage utilisés par cet organe de lobbying toutes les charges contre l’agriculture qui circulent au sein de l’écolosphère

Rebelote en novembre 2019, où l’Ifoam a diffusé, toujours en douze langues, un court métrage intitulé We Unite, mettant en vedette la manifestation « Wir haben Agrarindustrie satt ! » (Nous en avons assez de l’agrobusiness !) qui a lieu chaque année à Berlin. Dans la même veine, l’Ifoam est partenaire de Good Food Good Farming, des journées d’action organisées chaque année en octobre dans une vingtaine de pays européens, avec pour mot d’ordre : « Stop Industrial Agriculture ! »

Outre ces campagnes publiques, l’Ifoam effectue un intense travail de lobbying. En particulier par le biais de sa branche bruxelloise, qui déploie huit personnes à temps plein auprès des instances européennes, avec un budget de plus deux millions d’euros en 2018.

Lire aussi : Le Green Deal européen c’est plus de bio et moins de production agricole

Dans le rapport annuel de 2019, Jan Plagge, président de l’Ifoam EU, se réjouit d’ailleurs de son efficacité : « Grâce au travail continu et infatigable d’Ifoam EU, le bio occupe une place importante dans l’agenda politique et est considéré comme un contributeur clé au Green Deal européen. […] Outre le fait d’avoir placé l’agriculture biologique au premier plan des stratégies cruciales de l’UE, Ifoam EU a également obtenu des succès dans d’autres domaines liés à l’agriculture biologique. Je voudrais souligner en particulier notre travail de plaidoyer en cours sur la PAC. »

…et portes tournantes

Une efficacité qui doit aussi beaucoup à la pratique dite des « portes tournantes », qui veut qu’une personne occupe un poste d’influence politique avant ou après avoir occupé un poste dans une structure de lobbying économique ou dans une association militante. Une pratique qui est monnaie courante dans ce petit milieu de gens du même monde.

Ainsi, Éric Gall, l’actuel directeur des politiques à l’Ifoam EU, a auparavant passé sept ans à Greenpeace, notamment en charge du dossier OGM à Bruxelles. Il est aussi administrateur de l’association Justice et Pesticides, présidée par Corinne Lepage, dont il a par ailleurs été l’assistant parlementaire.

Juliette Leroux est, depuis décembre 2015, responsable de la campagne OGM du groupe européen des Verts. Juste avant, elle a travaillé pendant près de treize ans à la Fédération nationale d’agriculture biologique, membre de l’Ifoam. De même, Lena Wietheger, après avoir travaillé pendant neuf ans pour l’Ifoam, est devenue en 2014 assistante parlementaire de l’eurodéputé Vert allemand Martin Hausling. Idem pour Isabella Lang qui, après avoir œuvré pendant près de trois ans à l’Ifoam, est devenue en avril 2020 l’assistante parlementaire de l’eurodéputée écologiste Sarah Wiener.

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Et la liste est loin d’être exhaustive, comme en témoigne le cas de Claude Gruffat, l’ancien PDG de Biocoop devenu eurodéputé avec Europe Écologie-Les Verts. En effet, celui-ci, à peine élu, a opéré dès le 24 juin 2020 une première prise de contact avec l’Ifoam. Rien de plus naturel, cependant, puisque Gruffat était, juste avant, président de la Fédération Natexbio (réunissant Synadis, Synabio et Synadiet)… qui est membre du réseau Ifoam EU.

Combattre l’agro-industrie

Parmi ses autres faits d’armes, l’Ifoam a été l’une des principales organisatrices du fameux Tribunal International Monsanto, qui s’est tenu à La Haye en octobre 2016, à l’initiative de la journaliste militante Marie-Monique Robin.

La participation de l’Ifoam à ce « tribunal » témoigne de son hostilité à l’agriculture en général, car, comme l’a clairement indiqué la journaliste freelance, « le Tribunal ne vise pas uniquement Monsanto ». « À travers cette entreprise, c’est tout le système agro-industriel qui est visé », a-t-elle ainsi affirmé. Il s’agissait donc bel et bien d’une opération menée par le lobby du bio pour jeter le discrédit sur les modes de production agricole autres que bio, symbolisés par Monsanto.

Parmi ses autres faits d’armes, l’Ifoam a été l’une des principales organisatrices du fameux Tribunal International Monsanto, qui s’est tenu à La Haye en octobre 2016, à l’initiative de la journaliste militante Marie-Monique Robin

On a pu noter la présence d’André Leu, en tant que président de l’Ifoam, dans le comité d’organisation de ce simulacre de procès, aux côtés, notamment, de la militante indienne anti-OGM Vandana Shiva, dont l’association Navdanya est par ailleurs membre de l’Ifoam depuis vingt-cinq ans. Au nombre des organisateurs figurait aussi l’Américain Ronnie Cummins, fondateur et directeur de l’Organic Consumers Association, une association membre de l’Ifoam depuis quinze ans, qui est connue pour diffuser des théories complotistes aussi bien sur les vaccins que sur le 11-Septembre.

Pour compléter le tableau, on peut aussi mentionner l’entomologiste et lobbyiste suisse Hans Rudolf Herren, président et fondateur de Biovision, une structure faisant également partie de l’Ifoam depuis quinze ans. Membre par ailleurs du Club de Rome et président du Millennium Institute, basé à Washington DC, qui conseille les gouvernements de plus de quarante pays, Rudolf Herren a rejoint le conseil d’administration de l’Ifoam peu de temps après l’événement de La Haye, en 2017.

Puis, le 28 avril 2017, l’Ifoam a participé à la manifestation « Bayer- Monsanto : hors de nos assiettes ! » à Bonn, brandissant une banderole sur laquelle était écrit : « Stop Bayer- Monsanto ! Qui vous rend malade. Qui soigne ses maladies avec ses pilules. » À cette occasion, une conférence de presse a été organisée dans les bureaux de l’association, conjointement avec la Coordination contre les méfaits de Bayer et l’association Navdanya. Vandana Shiva a, par ailleurs, préfacé en 2014 le livre d’André Leu intitulé The Myths of Safe Pesticides (Les mythes des pesticides sans danger).

Campagne contre les OGM

On retrouve tout naturellement l’Ifoam dans la mouvance anti-OGM. Ainsi, sa section européenne a initié une campagne de lobbying intitulée « Garder les OGM hors de l’alimentation» qui a débuté en 2014 et s’est poursuivie à partir de septembre 2018 par une nouvelle campagne baptisée « Garder les OGM hors de la bio », ciblant plus spécifiquement les nouvelles techniques de modification génétique.

Tout au long de cette période, l’Ifoam EU a fait preuve d’une redoutable ardeur lobbyiste en multipliant communiqués et lettres ouvertes, pour faire obstacle aux autorisations de culture d’OGM en Europe, ou bien pour promouvoir les interdictions nationales d’OGM.

Dans le cadre de ce lobbying anti-OGM et anti-glyphosate, André Leu a participé, dès octobre 2014 – c’est- à-dire quelque six mois avant que le CIRC publie sa monographie sur le glyphosate –, à la rédaction d’un article intitulé « Genetically engineered crops, glyphosate and the deterioration of health in the United States of America », qui défend la thèse que les OGM et le glyphosate seraient à l’origine de la détérioration de la santé publique observée aux États-Unis. Paru dans la revue Journal of Organic Systems (le journal des systèmes bio), il a été sponsorisé notamment par l’Organic Federation of Australia, association qui représente l’industrie du bio en Australie.

Cet article se pare du prestige de la rigueur scientifique en multipliant les graphiques qui corrèlent OGM, glyphosate et diverses maladies, comme le diabète, le cancer, la démence sénile, l’obésité et l’autisme. Bien que ces corrélations aient été depuis lors largement démenties, le graphique liant glyphosate et autisme continue, aujourd’hui encore, à agiter les réseaux sociaux sur l’impact sanitaire supposé du glyphosate. Et, pour servir son activité de lobbyiste au sein de l’Ifoam, André Leu n’a pas hésité lors d’une intervention dans une conférence au Parlement européen, en mars 2016, à évoquer les « fortes corrélations entre le glyphosate et les principales maladies ».

Tout au long de cette période, l’Ifoam EU a fait preuve d’une redoutable ardeur lobbyiste en multipliant communiqués et lettres ouvertes, pour faire obstacle aux autorisations de culture d’OGM en Europe

L’hostilité de l’Ifoam ne se limite malheureusement pas à la transgénèse puisque, refusant également tout progrès dans les techniques d’amélioration végétale, elle s’est réjouie de la décision, rendue par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en juillet 2018, de considérer les variétés issues de la mutagenèse comme des OGM. En juin 2019, l’Ifoam EU a d’ailleurs publié une brochure de quatre pages, disponible dans toutes les langues européennes, affirmant que les nouvelles techniques de modification génétique « soulèvent exactement les mêmes préoccupations et incertitudes que la transgenèse ». Et d’ajouter : « Aucun OGM issu de nouvelles techniques ne devrait être mis sur le marché en l’absence de méthodes de détection disponibles. » Avant de conclure : « Pour faire face aux défis du XXIe siècle, nous n’avons besoin ni des OGM transgéniques ni des nouveaux OGM. En revanche, nous avons besoin d’une agriculture véritablement innovante, basée sur les principes de l’agriculture biologique et agroécologique. » Aujourd’hui, l’Ifoam œuvre à l’échelle de l’UE de façon très méthodique, afin d’empêcher qu’une réécriture de la directive 2001/18 concernant les OGM permette aux agriculteurs un accès libre aux futures variétés issues de ces nouvelles méthodes de sélection variétale. Elle a ainsi activement participé à l’élaboration du test de John Fagan, prétendument apte à différencier une variété issue de l’édition génomique (ODM) d’une variété classique.

En résumé, cet organe de lobbying international, plutôt discret au niveau français, joue sans relâche sa partition dans tous les combats radicaux menés par l’écolosphère contre l’agriculture.

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