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Vers un stockage d’eau de seconde génération

Entretien avec Jean-François Berthoumieu, directeur de l’Association climatologique de la Moyenne Garonne (ACMG) et directeur scientifique d’Agralis, une structure technique et commerciale qui permet notamment de piloter l’irrigation grâce à des mesures prises dans les sols

Spécialiste des structures de rétention de l’eau, vous proposez le stockage d’eau dans des lacs dit de « seconde génération ». De quoi s’agit-il exactement ?

Dans les années 1990, nous avons travaillé sur un projet intitulé « Irrimieux », qui nous a permis de confronter la pensée des pêcheurs à celle des agriculteurs.

Dans notre région du Lot-et-Garonne, les pêcheurs avaient en effet été les premiers, dès les années 1980, à identifier un problème dans la qualité des eaux de rivière, lié notamment à des pollutions provenant principalement des villes mais aussi de l’agriculture. Ils avaient alors reçu des financements, notamment de la part des agences de l’eau, pour surveiller l’état des cours d’eau, ce qui leur a permis de réunir des bases de données qui ont ensuite été utilisées par les responsables politiques et par la mouvance écologiste. Même si leurs travaux ont malheureusement été instrumentalisés pour empêcher la construction de nouvelles structures de rétention d’eau, on peut cependant mettre à leur crédit la mise en place d’installations d’épuration d’eau, tout comme l’abandon par l’agriculture de certains désherbants potentiellement problématiques pour la faune aquatique ou simplement l’eau potable.

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Ces données réunies nous ont également appris que les lacs collinaires construits dans les années 60 et 70 le long des cours d’eau présentaient certains handicaps. À savoir, premièrement, un manque d’oxygène lorsque l’eau quitte le lac en aval, deuxièmement, l’absence du phénomène de chasse d’eau lorsqu’il y a des crues en hiver, et enfin, une augmentation des températures en été.

Nous avons donc imaginé ensemble des améliorations afin de réduire ces problèmes. La première idée, réalisée sur le lac du Moulin d’Arasse situé sur la rivière du Bourbon, a été de mettre en place un bassin de décantation en amont du lac. Ceci permet à l’eau de la rivière de ralentir avant de pénétrer dans le lac, facilitant ainsi la sédimentation des petites particules de sol transportées par l’eau. Nous avons découvert également que cela réduisait le taux de nitrate, grâce à une sous-couche de bactéries présente dans le fond de ce bassin, qui n’est pas très profond. Résultat : la qualité de l’eau en aval est devenue bien meilleure.

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La seconde amélioration que nous avons imaginée a été, au lieu de lâcher l’eau à partir d’une vanne située au fond du lac, notamment pour enlever la vase qui s’y est accumulée, d’inventer un système de prélèvement d’eau à hauteur variable, afin de libérer plutôt l’eau de surface. Cela permet également de mieux gérer le niveau de température de l’eau, alors que celle-ci, en été, et particulièrement à partir du mois de juin, en raison de la stratification thermique, n’a de l’oxygène que sur au maximum un mètre cinquante de profondeur.

Enfin, nous avons réfléchi aux emplacements propices à l’installation de ces lacs. Une évidence s’est rapidement imposée : il fallait les situer au milieu de l’écoulement de la rivière, aux endroits où les cours d’eau font moins de deux mètres de large. En effet, ainsi que nous l’ont expliqué des environnementalistes anglo-saxons, les poissons migrateurs ne remontent pas les cours d’eau dont la largeur est inférieure à 2 mètres. C’est donc dans les bassins versants, sur le chevelu de tous ces ruisseaux, que doivent être construites ces rete- nues d’eau. Elles se rempliront d’ailleurs beaucoup plus vite que si l’on détourne une rivière pour amener l’eau et ne nécessitent pas d’énergie de pompage. Voici donc, résumés en quelques mots, les principes de base de ce que j’entends par « lacs de seconde génération ».

Ce stockage d’eau intelligent est indispensable pour permettre une gestion optimale de l’eau.

Mais encore faut-il être en capacité de piloter correctement l’irrigation. Et c’est ce que nous proposons avec nos systèmes de pilotage par sonde capacitive.

Comment fonctionne ce stockage d’eau intelligent ?

Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce sujet, dès les années 1980, on avait à disposition uniquement les bilans hydriques théoriques imaginés par des chercheurs dans les années 1950-60 – lesquels sont, au demeurant, encore utilisés aujourd’hui.

Grâce à des analyses de rendements et de prélèvements d’échantillons de terre, nous avons pu démontrer que les bilans hydriques théoriques donnaient de bons résultats seulement sur un tiers des parcelles

Or, nous avons constaté, grâce à des analyses de rendements mais aussi de prélèvements d’échantillons de terre, que sur une centaine de suivis, principalement sur du maïs, ceux-ci donnaient de bons résultats seulement sur un tiers des parcelles, et pour le reste, l’arrosage préconisé était soit insuffisant, soit trop abondant.

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Pour obtenir un résultat meilleur, nous étions convaincus qu’il fallait pouvoir mesurer directement l’eau dans le sol et, après avoir testé un certain nombre de capteurs, nous avons mis en place un système de mesure qui se base sur la mesure du diélectrique du sol. C’est-à-dire qu’il examine la vitesse à laquelle un condensateur se décharge ou se charge dans un sol, et, en fonction de cette vitesse, nous pouvons déduire la quantité d’eau présente dans ce sol.

Ainsi, en disposant ces condensateurs tous les dix centimètres, sur un profil vertical à l’intérieur du système racinaire, à l’emplacement de l’échangeur de la plante et du sol, et, bien entendu, sur les lieux les plus représentatifs de la parcelle, on obtient l’évolution au cours du temps de son état hydrique.

Pour disposer d’un système qui permette de suivre sur son portable et en temps quasi réel – c’est-à-dire toutes les dix à trente minutes – , une parcelle d’une vingtaine d’hectares, il faut compter un budget d’un peu moins de 2000 euros. Et, en étudiant la courbe que fournissent les sondes, l’agriculteur peut accompagner la plante en fonction de ses besoins réels. Par exemple, lorsqu’il constate que la plante a consommé 6 millimètres d’eau et que, quatre jours plus tard, elle n’en consomme plus que 2, alors que le climat est identique, cela lui indique de manière certaine que la plante commence à être en état de stress hydrique car elle n’a trouvé que 2 millimètres d’eau dans le sol. Il doit alors lui fournir l’eau manquante. Comme vous pouvez l’imaginer, cette année, il a fallu apporter davantage d’eau en raison des chaleurs que les plantes ont eu à subir. À cette occasion, nous avons découvert qu’un maïs pouvait exiger jusqu’à 11 millimètres d’eau par jour alors que nous étions plutôt sur une consommation d’au maximum 7,5 millimètres.

De façon plus générale, ces sondes servent aussi à réduire la consommation d’eau. Notre système permet ainsi d’économiser jusqu’à 30 % de l’eau. C’est notamment le cas en arboriculture où, en laissant mieux respirer son système racine, la plante va aller plus profondément dans la terre chercher de la réserve. Dans le sol, il y a des microporosités qui stockent l’eau des plantes et des macroporosités où l’eau circule par gravité quand il pleut mais qui, une fois la pluie terminée, doivent se vider d’eau et se remplir d’air afin que les racines puissent fonctionner (drainage). Si l’irrigation ou la pluie sature le sol pendant quelques heures, voire un jour ou deux, la plante est en apnée et ne fonctionne plus. Ce sont les sondes capacitives qui nous ont permis d’observer cela, alors que les autres moyens n’arrivent pas à mesurer l’eau au-dessus de la capacité au champ, lorsque ces macroporosités se remplissent.

Pour terminer, il me semble important de noter que, si nous avons actuellement le climat de Perpignan d’il y a vingt ans, dans vingt ans, nous aurons celui de Lérida, en Catalogne. En effet, selon les relevés que nous avons nous-mêmes réalisés, les températures moyennes enregistrées depuis les années 70 ont grimpé de 0,5° C tous les dix ans depuis le milieu des années 80 en Lot-et-Garonne. Et, selon les prévisions du Giec, elles devraient, à ce rythme, encore grimper de 4 à 5°C d’ici à la fin du siècle ! Il est donc indispensable et urgent de gérer l’eau de pluie, qui tombe toujours avec autant d’abondance, quoique de manière plus variable, avec beaucoup plus d’intelligence que cela n’a été fait jusqu’à présent…

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