AccueilSantéAu sujet des 500 000 décès prématurés

Au sujet des 500 000 décès prématurés

Sous le titre bien accrocheur « Le déclin des insectes pollinisateurs cause 500000 décès prématurés par an », lepoint.fr a publié une brève traduction d’un article du quotidien anglais The Guardian qui relaie une étude établissant un lien de causalité entre le déclin des pollinisateurs et le décès prématuré d’un demi-million de personnes par an à l’échelle mondiale. Une information reprise par geo.fr sous l’intitulé « L’effroyable bilan de mort précoce d’êtres humains à cause du déclin des pollinisateurs dans le monde »

Toute la construction de l’étude Déficits en pollinisateurs, consommation alimentaire et conséquences pour la santé humaine : une étude de modélisation, dont l’auteur principal est Samuel Myers, fondateur de Planetary Health Alliance, repose sur une succession d’affirmations, certes crédibles séparément, mais qui, agrégées les unes aux autres, élaborent un paralogisme de type post hoc, ergo propter hoc, c’est-à-dire un raisonnement qui consiste à prétendre que si un événement en suit un autre, alors le premier doit être la cause du second.

En un temps de lecture estimé à moins d’une minute, lepoint.fr offre à ses lecteurs un bon concentré de propos anxiogènes, qui ne repose pourtant sur rien de très solide

Ainsi, pour faire simple, l’étude suggère que le déclin des insectes pollinisateurs aurait un impact sur la production agricole, qui se traduirait par des pertes de rendement, entraînant donc une baisse de disponibilité de fruits et de légumes, qui occasionnerait elle-même une baisse de consommation de ces denrées. Or, cette baisse de consommation en légumes, fruits et noix de la population mondiale provoquerait, selon les auteurs de l’étude, environ 500 000 décès prématurés chaque année. « D’après les scientifiques, cette tendance [du déclin des pollinisateurs] aurait fait baisser de 3 à 5 % la production de fruits, de légumes et de noix et, à l’inverse, fait augmenter les cas graves de certaines maladies », précise l’article. Et de mentionner les maladies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète et certains cancers induits.

Lire aussi : Biodiversité : la disparition des insectes en question

Pour enfoncer le clou, l’article reprend les propos d’un « expert », Dave Goulson, qui assure que, les populations d’insectes continuant de décliner, « cette perte de rendement des cultures va s’aggraver à l’avenir, et ce, alors que la population humaine va continuer à croître pour atteindre au moins 10 milliards d’habitants ». « Les problèmes décrits ici vont probablement s’aggraver au fur et à mesure que le XXIe siècle avance », avertit Dave Goulson, professeur de biologie à l’université du Sussex et, par ailleurs, administrateur de l’association antipesticides PAN UK.

Voir aussi le décryptage vidéo

Please accept YouTube cookies to play this video. By accepting you will be accessing content from YouTube, a service provided by an external third party.

YouTube privacy policy

If you accept this notice, your choice will be saved and the page will refresh.

Bref, en un temps de lecture estimé à moins d’une minute, lepoint.fr offre à ses lecteurs un bon concentré de propos anxiogènes, qui ne repose pourtant sur rien de très solide. D’ailleurs, si l’on suit l’étrange raisonnement des auteurs, tous les modes de productions agricoles peu intensifs, donc peu productifs, comme l’agriculture biologique, seraient en toute logique également responsables d’une « mortalité prématurée », voire même plus significative, puisque les pertes de rendement sont bien plus élevées que les 3 à 5 % attribués par les auteurs de l’article au déclin des pollinisateurs.

Mais le plus inquiétant de l’affaire est encore qu’une étude basée sur un tel paralogisme ait pu être publiée dans une revue réputée sérieuse comme Environmental Health Perspectives. Une lecture rapide de ses 12 pages permet pourtant d’en relever aisément les limites…

Un chiffre inventé

En préambule, il est intéressant de noter que le chiffre de 500 000 décès, brandi en titre par The Gardian, lepoint.fr, et quelques jours ensuite par Le Monde, ne figure nulle part dans l’étude. Les auteurs font état de 427 000 décès, tout en précisant prendre un intervalle d’incertitude de 95 % ! Autrement dit, ils tablent sur une fourchette allant de 86000 à 691 000 décès. Certes, s’il était vérifié, même ce chiffre de 86 000 pointe déjà des décès en trop, bien que cela demeure marginal comparé aux 55 millions de décès qui ont lieu dans le monde chaque année. Or, l’analyse de la méthode utilisée pour évaluer cette fourchette révèle quelques surprises…

En effet, cette mortalité estimée est entièrement attribuée à un optimum de production potentiel de fruits et légumes qui ne serait pas atteint en raison du déclin des pollinisateurs. Comme la consommation de fruits et légumes apporte des bienfaits nutritionnels évidents (notamment par leur teneur en vitamines), c’est donc cet apport manquant qui justifierait ces 427 000 décès prématurés !

Le cas de la Pologne

Pour illustrer leurs propos, les auteurs citent l’exemple de la Pologne, et plus précisément de la culture des pommes, des concombres et des tomates, dépendante de la pollinisation. « Pour comprendre le potentiel manquant de la Pologne en raison d’une pollinisation insuffisante, nous avons d’abord comparé les rendements agricoles moyens de la Pologne avec son rendement potentiel basé sur une sélection de rendements mondiaux cultivés sur des terres ayant un climat similaire à celui de la Pologne », expliquent les auteurs. Alors que le rendement moyen de la Pologne pour les pommes est de 12,1 tonnes à l’hectare, ils estiment ainsi le rendement « réalisable » à 15,8 t/ha. Pour les concombres, la moyenne se situe à 11,5 t/ha contre 18,9 t/ha réalisables, et pour les tomates, 15,5 t/ha en moyenne contre 37,8 t/ha réalisables.

Rien dans l’étude ne permet de justifier l’idée que le simple fait d’augmenter la disponibilité des fruits et légumes suffirait à modifier la consommation vers une alimentation plus saine

Comment ont-ils obtenu ces chiffres ? Mystère ! « Nous nous sommes appuyés sur des travaux empiriques solides basés sur le terrain pour supposer qu’environ un quart de la différence est due à une pollinisation insuffisante », lit-on pour toute explication. Ce qui a permis aux auteurs d’estimer « que si les pollinisateurs étaient abondants et diversifiés, la Pologne pourrait produire 8 % de pommes, 12 % de concombres et 28 % de tomates en plus ». Il faut bien admettre que tout cela reste très théorique.

Le raisonnement se complique dans la suite. En effet, selon les auteurs, cette augmentation potentielle de production aurait un effet sur les prix des denrées alimentaires, ce qui conduirait à un changement dans les modes de consommation : « Les consommateurs mondiaux achèteraient et mangeraient également différemment en fonction des prix des denrées alimentaires, en tenant compte des changements dans les flux commerciaux mondiaux. » On consommerait donc davantage de pommes, de concombres et de tomates, s’il y en avait davantage sur le marché ! Si cela peut éventuellement être le cas dans des pays où ces denrées font défaut, on voit difficilement pourquoi la consommation de pommes augmenterait en Pologne. Et si vraiment c’était le cas, alors, au détriment de quoi se ferait-elle ?

« Notre modèle suggère que ces changements alimentaires relativement modestes auraient néanmoins l’avantage de réduire la mortalité évitable due aux maladies chroniques », avancent encore les auteurs, suggérant qu’il y aurait un remplacement automatique d’aliments de moins bonne qualité nutritionnelle (par exemple, des chips et des sodas) par des pommes, des concombres et des tomates. Or, rien dans l’étude ne permet de justifier l’idée que le simple fait d’augmenter la disponibilité des fruits et légumes suffirait à modifier la consommation vers une alimentation plus saine.

Pourtant, c’est bien ce postulat qui permet ensuite aux auteurs d’affirmer que cette consommation accrue de fruits et légumes permettrait, d’une part, d’éviter 1 400 décès par an en Pologne, en raison de la diminution du risque d’accident vasculaire cérébral (900 décès évités), de cancer (300 décès) et de cardiopathie coronarienne (200 décès), et d’autre part, de réduire la mortalité due aux maladies coronariennes (1 000 décès), au cancer (500 décès) et aux accidents vasculaires cérébraux (200 décès). Enfin, toujours selon les auteurs, les Polonais seraient également amenés à consommer davantage de noix – mais pourquoi jetteraient-ils leur dévolu sur les noix et pas sur les cacahuètes ? –, ce qui conduirait à éviter 1700 décès, tous dus à des maladies coronariennes. « Au total, on peut estimer que ces modifications bénéfiques du régime alimentaire permettraient d’éviter 4 700 décès par an. »

Toutes ces élucubrations frisent le ridicule, puisque rien ne permet d’affirmer que la consommation accrue de pommes ne se ferait pas au détriment de celle de poires, d’oranges, de bananes ou de raisins. On voit donc difficilement pourquoi il y aurait moins de cancers ou d’accidents vasculaires. C’est pourtant cette méthodologie fragile qui permet d’obtenir le chiffre de 4700 décès « prématurés » pour la Pologne, celui de 107 000 pour l’Europe et l’Asie centrale, et de 427000 à l’échelle du monde.

Le comble du ridicule, c’est qu’en suivant la logique des auteurs, le passage à l’agriculture biologique caractérisée par ses faibles rendements, et donc par une production plus faible, occasionnerait des millions de morts prématurés.

Le vrai « bilan effroyable »

Finalement, les seuls éléments positifs de ces travaux consistent à rappeler d’abord le rôle bénéfique – et déjà de notoriété publique – de la consommation mondiale de fruits et légumes sur la santé, et ensuite la nécessité constante d’une croissance de la production agricole pour améliorer la santé de la population mondiale. Car il ne faudrait pas oublier que, depuis 2019, la sous-alimentation a poursuivi sa progression.

Toutes ces élucubrations frisent le ridicule, puisque rien ne permet d’affirmer que la consommation accrue de pommes ne se ferait pas au détriment de celle de poires, d’oranges, de bananes ou de raisins

Comme le rappelait le dernier bilan de l’Onu sur la sécurité alimentaire publié le 6 juillet 2022, 9,8% de la population mondiale sont désormais touchés par la sous-alimentation, soit près d’une personne sur dix. C’est-à-dire entre 700 et 830 millions de personnes. Des chiffres vérifiés qui imposent, eux, un « bilan effroyable » !

Pour aller plus loin :
Derniers articles :

Dans la même rubrique

Protéines végétales et animales : des différences notoires

Entretien avec le Dr Jean-Louis Thillier, consultant scientifique

newsletter

Recevez régulièrement notre newsletter